Un Roi sans divertissement de Jean Giono

Intérêt
Ce roman de Giono, l’un des plus ambitieux de son œuvre, fut écrit à un moment-clé de la vie de l’auteur ; ce qui explique sans doute le climat singulier du livre.



Table des matières

1. INTRODUCTION


D’entrée, Un Roi sans divertissement présente la particularité de révéler l’essentiel de son propos à travers son titre, son épigraphe et ses tout premiers paragraphes.

Si le romancier travestit la réalité, ce n’est pas non plus sans jouer cartes sur table comme le révèle, dès l’abord, la lecture du livre de Jean Giono. Le titre, l’épigraphe et les premières pages condensent, en effet, l’essentiel du propos du roman.

C’est, d’abord, le titre – Un Roi sans divertissement (1) – emprunté à Pascal (« Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. ») qui évoque sans détour l’ennui de la condition humaine (le temps qui passe inéluctablement/la vieillesse/la maladie/et in fine la mort) et les efforts que fait l’être humain pour s’en distraire et y échapper. Le « divertissement » - au sens étymologique de « se détourner » - incite, en effet, à oublier les difficultés de l’existence, du tragique de la vie et du souci en général : Qu’on laisse un roi tout seul sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin de l’esprit, sans compagnies et sans divertissements, penser à lui tout à loisir, et l’on verra qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères. [...] Et c’est pourquoi, après leur avoir préparé tant d’affaires, s’ils ont quelque temps de relâche, on leur conseille de l’employer à se divertir, et jouer, et s’occuper toujours tout entiers.» Pensées, 137, 139)

C’est ensuite une épigraphe que Luce Ricatte (in Notice : Édition de La Pléïade) considère comme « fabriquée » ; ce que confirme la fille de l’écrivain, Aline Giono. En voici le texte : « Si vous m’envoyiez votre cornemuse et toutes les autres petites pièces qui en dépendent, je les arrangerais moi-même et jouerais quelques airs bien tristes, bien adaptées, puis-je dire, à ma pénible situation de prisonnier. » (Lettre de Auld Reekie) Le rapprochement entre cette pseudo citation et celle de Pascal fait apparaître les notions de lieu clos (« prisonnier ») et de dérivatifs actifs (verbes « arrangerais/jouerais »), sans laisser toutefois la moindre illusion concernant ces activités (« quelques airs bien tristes »). Sans doute trouve-t-on une allusion à la situation de prisonnier qui fut celle de Giono en 1946, mais on peut y voir, métaphoriquement, une traduction imagée de la condition humaine considérée comme une prison dont il est besoin de s’échapper par une activité ludique.

Ce sont, enfin, les deux premiers paragraphes du roman qui révèlent le regard lucide du romancier sur un univers dans lequel l’être humain a pour décor la seule Nature. Les quelques brèves lignes du paragraphe qui ouvre le roman évoquent, en effet, avec la sécheresse d’un procès-verbal, un nommé Frédéric : « Frédéric a la scierie sur la route d’Avers. Il y succède à son père, à son grand-père, à son arrière-grand-père, à tous les Frédéric. » Giono met ainsi l’accent – à l’échelle des générations – sur l’inépuisable répétition humaine qui se lit jusque dans la transmission des prénoms pour donner, sans doute, un semblant de sens au déroulement du temps : installer, par la répétition d’un prénom, une forme de survivance et de permanence à ce qui n’est que furtif passage éphémère.

Mais ce n’est là que vaine illusion ou faux-semblant que le second paragraphe, plus développé, se charge de démasquer dans la mesure où il y est fait l’éloge admiratif d’un hêtre parfait « d’éternelle jeunesse. ». Quoi de commun, en effet, entre cette matière humaine dont la durée se mesure au subterfuge du prénom et de la transmission d’un bien (la scierie) et la matière naturelle qui a la durée pour elle ? L’une essaie de camoufler la mort quand l’autre se contente d’être, se reproduit quasiment à l’identique et perdure.

Le fond du problème ainsi évoqué avec une grande économie (un titre/une épigraphe/deux paragraphes de quelques lignes) et sans le moindre pathos, et il est temps pour Giono de dérouler son récit dans cette matière vivante contrastée, humaine et naturelle.

Et si la façon la plus intéressante qu’avait l’homme pour se divertir était d’interrompre le fil des lois naturelles qui le conduit jusqu’à cette issue programmée qu'est sa disparition ? Si un jeu avec la mort permettait d’introduire quelque fantaisie dans cet avenir sans surprise qui l'attend ?

Ce récit qui se met en place est, certes, daté (« hiver 1843.44.45 »), localisé (« à Chichilianne ») et concerne un premier personnage (« M. V. »). Mais le flou est de mise : en effet, le personnage dont il est question a pour nom une lettre initiale… de fin d’alphabet ; par ailleurs, Chichilianne est un no man’s land (« On ne va pas à Chichilianne/Il ne reste pas de V. à Chichilianne/Pas de document sur V. ») ; quant à la saison (« Hiver/décembre/neige »), elle efface les paysages, rétrécit l’espace, cloître chacun dans sa maison avec pour seul refuge le lit, nous est-il dit.

L’ennui…

Giono choisit donc une présentation des éléments qui privilégie la négation. Il fait ainsi naître, chez le lecteur, sentiment d’irréalité et d’absence de vie et insiste sur la notion d’effacement, qui s’incarne aussitôt – si l’on peut dire – par la disparition de la jeune Marie Chazottes dès le début du roman.

La chronique de singuliers événements peut alors commencer...


2. ANALYSE


2.1. L’antinomie des éléments


Le hêtre et l’être

Ainsi, le hêtre, puissamment ancré dans la terre et exhibant sa formidable puissance, mais immobile, représente à lui seul la force matérielle de l’Univers. Il est bien naturel que l’on vienne jusqu’à lui pour payer tribut. Un sacrifice pour mêler la matière organique et la matière humaine en une fusion placée sous le signe des retrouvailles, en un refus de ce dualisme qui entend séparer esprit et matière, en une célébration d'un panthéisme qui irrigue l'œuvre de l'écrivain.

La neige et le sang

On a souvent glosé sur les couleurs dans le roman – et notamment à propos du contraste du rouge sanguinolent sur la blancheur de la neige. Il est vrai que Jean Giono a insisté lors du tournage du film éponyme de François Leterrier pour que le cinéaste respectât ce parti-pris du roman. Mais l’association de ces deux couleurs peut être appréciée autrement : l’auteur ne confronte-t-il pas, en fait, la substance vitale, vivant, chaude et périssable qu’est le sang à la matière froide, passagère et transformable que représente la neige en un contraste - récurrent tout au long du livre (épisode du sang du cochon tailladé/du sang de M. V. traqué par Bergues/du sang du chien tué par le loup/de la tête coupée de l’oie) – sans doute synonyme d’incompatibilité, voire de divergence entre la matière humaine si fragile ou aléatoire, bref contingente, et la matière naturelle si durable et éternelle. Une antinomie essentielle, au sein même de la création, entre l’homme et son univers. C’est bien la neige qui absorbe le sang mais ne peut le tarir comme le dit si bien le romancier lors de l’épisode du cochon tailladé : « Ravanel frottait la bête avec de la neige et, sur la peau un instant nettoyée, on voyait le suintement du sang réapparaître et dessiner comme les lettres d’un langage barbare, inconnu. »


2.2. La neige de l’ennui et de la vacuité


Une situation métaphorique

Ce village saisi au cœur de l’hiver et enfoui sous la neige et la peur dès l’instant qu’il a compris que le meurtrier de Marie Chazottes « c’était la menace égale pour tout le monde » n’évoque-t-il pas la conscience de la mort tapie dans les esprits – mais soigneusement occultée sous le quotidien des tâches – et qui réapparaît alors dans ces circonstances défavorables à l’activité quotidienne mais propices à la résurgence des interrogations spirituelles ? D’autres auteurs ont nommé cette inquiétude panique de l’homme au contact de l’étrangeté du monde, « La Nausée » (Jean-Paul Sartre) ou « l’Absurde » (Albert Camus) (2)


L’ennui et la condition humaine

La prison de la condition humaine

« Quel trou, s’exclame Langlois »,  découvrant le village où s’est réfugiée la veuve de M, V. « Comme à Grenoble », lui rétorque Saucisse. Cette double remarque semble bien signifier que l’être humain est condamné à vivre dans le décor borné de la vie : quel que soit le cadre de l’existence (grande ville moderne et vivante ou village traditionnel isolé), la condition humaine ne laisse aucune échappatoire : le chemin est tracé avec l’éveil de la conscience, à l’âge de raison. La conscience fait aussitôt naître le sentiment de vacuité et d’ennui. On rappellera cette question de Saucisse à Langlois à propos de son mariage : « Et que dit l’homme ? L’homme dit que la vie est extrêmement courte, dit Langlois. »

Les remèdes individuels et/ou sociaux

Il convient dès lors de pratiquer le divertissement qui fait oublier – plus ou moins durablement – cet ennui métaphysique. Le roman énumère, le plus souvent avec une grande ironie - les solutions qui visent à distraire les prisonniers que nous sommes. Il en est d’individuelles et d’autres plus sociales et ambitieuses.

Pour ce qui est des réponses personnelles à la question du sens de la vie, on peut prendre pour exemple la dynastie des Frédéric dont la numérotation plaisamment mentionnée (Frédéric II à Frédéric IV) insiste sur le plaisir à se marier et à se reproduire ; ce qui nourrit le temps de l’existence à coups de charges familiales. On notera, toutefois, que cette vie n’est pas exempte d’un sentiment d’aliénation comme le montre l’exemple de Frédéric II qui, lors de sa longue traque de l’assassin de Dorothée, se sent métamorphosé : « Entièrement différent du Frédéric II de la dynastie de la scierie ; plus du tout sur la terre où il faut où il faut scier du bois pour gagner de quoi nourrir Frédéric III ; dans un nouveau monde lui aussi ; où il faut avoir des qualités aventurières. Heureux d’une nouvelle manière extraordinaire ! (Ça, il ne le dira pas. D’abord, il ne le sait que confusément ; mais le saurait-il très exactement, il ne le dirait pas, il le cacherait pour toujours, même au moment final où il serait lui aussi ce promeneur traqué.) Heureux d’une manière extraordinaire à imaginer (c’est trop dire : à connaître instinctivement) que ce nouveau monde était d’un vaste sans limite […] » Frédéric II découvre ainsi – même brièvement - une vie sans horizon, qui n’est plus bornée par le quotidien des devoirs et des responsabilités ; une vie libre où l’on est le chasseur et non plus la proie ; une vie où l’on décide et non plus où l’on subit le « moment final » de la mort ; une vie qui inverse les rôles.

Quant aux distractions plus recherchées destinées au « happy few », on rappellera les fêtes données par Mme Tim en son château de Saint-Baudille et l’accumulation des invités, de leurs toilettes et leurs conversations policées.

Plus collectives – mais non moins sociales – apparaissent successivement la messe de minuit dont Langlois, l’un de ces fameux « connaisseurs des âmes » (avec Saucisse, Mme Tim et le procureur du roi) dit au prêtre qu’ « il faudrait la messe de minuit de Noël de janvier à décembre », rejetant ainsi l’invocation de ce dernier sur « le pouvoir de la grâce divine » au profit de la seule notion de « spectacle » ; et la battue au loup qui tient tout à la fois de la coutume montagnarde, mais aussi mondaine dans la mesure où l’on affiche ses tenues.


Le cas Langlois, un « double » de Giono ?


L’ennui, dont les hommes et Langlois ne peuvent s’accommoder, Giono l’éprouvait juste avant de concevoir et rédiger son roman. Giono, en 1946, se trouve alors dans une maisonnée qu’il occupe et confie : « Au bout de trois jours, je commençais à m’ennuyer ; il n’y avait pas de table, rien qu’une petite table de toilette, une cuvette et un pot à eau ; j’ai écarté la cuvette et j’ai commencé à écrire Un Roi sans divertissement. » (Entretien avec Luce Ricatte en 1955)

L’ennui, précisément…

On ajoutera que sa mère est décédée en 1946 et que cette disparition essentielle fut sans doute pour lui l'occasion d'une réflexion douloureuse sur la vie et sa signification et ajouta sans doute à son pessimisme, expression d'une conscience tragique du temps et de la vie.

Par ailleurs, à la fin de la guerre, Giono a été emprisonné et dénoncé par le Comité national des écrivains. Nul doute que ces événements l’ont durablement marqué et que sa vision des choses et des êtres s’est profondément modifiée : les élection lui apparaissent comme le blanc-seing donné par les plus ignorants à des ambitieux ; les règlements de compte de la Libération le rendent, en outre, amers et sans illusions sur l’être humain comme le révèle son Journal du 23 janvier 1947 : « Mais hitlériens ou autres, là n’est pas la question. Le grand mérite, c’est qu’on a vu le fond de notre turpitude et je ne crois plus au coiffeur, à l’électricien, au cafetier […] Je ne crois même plus à moi (voilà pourquoi Un Roi sans divertissement. »

Alors, Langlois, un double de Giono ? On notera que Giono écrit le roman en 1946 : il a donc cinquante et un ans, soit à peu près l’âge de Langlois dont on apprend qu’il a cinquante six ans lorsque, vers la fin du roman, il annonce son désir de se marier. A cet âge, on contemple la vie et les êtres avec le détachement ironique de celui qui sait.

La désillusion, en effet…

Or, si l’on résume la psychologie de Langlois, il faut rappeler que son projet de mariage qu’il révèle à Saucisse s’accompagne d’un concis et révélateur « sans illusions. » Il a œuvré en Algérie lors de la guerre de conquête. Puis il est devenu capitaine des gendarmes dans la région de Trièves. Enfin, après sa démission, le voici lieutenant de louveterie. Sa métamorphose s’achève avec sa rupture de célibat et son mariage avec Delphine. C’est dire si son existence lui a permis d’accumuler une expérience de la vie marquée par la guerre et la chasse aux criminels. Une expérience qu’il a de toute évidence transformée, vers la soixantaine, en une conscience aiguë du dérisoire que son ultime décision du mariage ne fait que conforter.

Une fois sa décision prise d’en finir avec une vie ennuyeuse et décevante, on peut remarquer que Langlois – qui a les a observées attentivement lors de la battue au loup et de l’oie à la tête coupée - refuse, quant à lui, ces noces barbares du sang et de la neige évoquées ci-dessus et préfère retrouver le big bang des origines : (« Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussement d’or qui éclaira la nuit pendant quelques secondes. C’était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l’univers. »), conclut le romancier. Giono, expliquant l’acte de son personnage écrit dans son Carnet : « Le thème c’est le drame d’un justicier qui porte en lui-même les turpitudes qu’il punit chez les autres. Il se tue quand il se sent capable de s’y livrer. » Ainsi, Langlois, fasciné par le sang (épisode de l’oie à la tête coupée), et tuant facilement (il abat M.V. d’une façon inattendue et le loup avec plaisir), décide, selon l’auteur lui-même, de mettre fin à cette contamination de sa personne par son métier.

Une autre explication se dessine pourtant. Le choix de la dynamite (3) – qui réduit au néant toute matière -, que fait Langlois pour disparaître, ne serait-il pas la preuve que son obsession réelle tiendrait tout entière dans un refus viscéral de ne laisser aucune trace de sang et d’effacer tout signe matériel, Ce choix du retour au cosmos originel n’exprime-t-il pas, tout à la fois, un refus absolu doublé d’un désaveu total de la condition humaine. Le sang de Langlois ne tachera pas la neige qui venait de tomber…

On notera que le portrait de Langlois est finement et longuement dessiné. Mais le lecteur le découvre – indirectement - à travers des remarques ou des confidences livrées par le collectionneur d’histoires ou, plus souvent, par Saucisse, que lors d’exposés de ses croyances ou de ses opinions, toujours sobrement et elliptiquement mentionnées. Le regard et les commentaires de Saucisse sur Langlois procèdent d’intuitions qu’elle a, de déductions qu’elle faits ou d’interprétations qu’elle se permet concernant un regard, un silence, une attitude, voire un mot. Langlois est un personnage à déchiffrer qui ne se livre jamais et procède par euphémisme ou litote ; ce qui ne l’empêche pas, en homme d’action qu’il est, de se montrer toujours direct. Il ordonne, certes, mais laisse entendre, le plus souvent. C’est ainsi qu’il agit avec M. V. qu’il exécute de façon tout à fait inattendue pour les témoins – et pour le lecteur ! C’est ainsi qu’il rend visite (pour l’aider ?) à la veuve de M. V. et à son petit garçon sans jamais mettre au courant de ses intentions ni Saucisse, ni Mme Tim, qu’il a pourtant sollicitées pour l’aider dans sa démarche. D’une façon générale, Langlois montre un pessimisme né d’une lucidité désabusée. C’est ainsi que son suicide clôt le roman sur un brutal coup de tonnerre en forme d’éclair éblouissant.

NOTES :

(1) Et si ce « Roi sans divertissement » désignait Giono lui-même ? On rappellera qu’il confiait à Jean Amrouche que « Si j’invente des personnages et si j’écris, c’est tout simplement que je suis aux prises avec la plus grande malédiction de l’univers, c’est l’ennui. » Dès lors, double symbole : d’une part, le Hêtre/l’Être - comme l’œuvre qui se développe et arbore ses surgeons ; d’autre part, les corps qui lui sont immolés - comme le sacrifice du romancier qui écrit au lieu de vivre.

(2) Cf. Les analyses des oeuvres de Camus sur LibreSavoir : L’Étranger [1] ; Le Mythe de Sisyphe [2] ; La Peste [3] et L’Exil et le Royaume [4]

(3) On relèvera à ce propos un anachronisme de la part de Giono. Les événements du roman se déroulent en 1843 et les années suivantes. La mort de Langlois se situe, par ailleurs, avant 1867, date à laquelle Saucisse a quitté l’Auberge de la Route et intervient dans le récit pour faire comprendre aux témoins que Langlois agitait des idées noires et montrait des signes de mal-être que personne n’a su interpréter. Or, l’invention de la dynamite par Alfred Nobel sous forme de bâtonnets enveloppés de papier est réalisée seulement en 1866 et le brevet n’est déposé qu’en 1867, c’est-à-dire bien avant la fabrication industrielle. Langlois ne peut donc utiliser un bâton de dynamite à l’époque évoquée par Giono.


3. RESUME DÉTAILLÉ


NB : Les dates mentionnées entre crochets le sont à titre indicatif pour faciliter la chronologie (le roman n’indique que peu de précisions chronologiques).

[1843]

Un nommé Frédéric, d’une longue lignée de Frédéric, est propriétaire d’une scierie sur la route d’Avers. A proximité se tient un hêtre extraordinaire.

Le narrateur - un collectionneur d’histoires - nous apprend qu’un nommé M. V., de Chichilianne, s’est servi de cet arbre dans les années 1843, 1844 et 1845. Après avoir près avoir fait des recherches, il a retrouvé, autour de Chichilianne, un seul V. Amédée lisant Sylvie de Gérard de Nerval et étudiant à l’Ecole Normale de de Valence ou de Grenoble. Il ignore si ce V. de 1948 est le descendant de celui de 1843. Le narrateur, qui enquête sur ces années auprès de son ami Sazerat de Prébois, un historien local, s’intéresse à un fait-divers – dont on ne semble pas parler volontiers - s’étant déroulé à cette époque.

Le narrateur livre le détail de son enquête en un récit reconstitué qui commence en décembre 1843 au cours duquel il neige vingt jours durant à Chichilianne. Vers le 15 du mois, on s’aperçoit de la disparition inexpliquée de Marie Chazottes aux alentours de 15 heures. Puis quelque temps plus tard, au cours de la messe du dimanche, c’est Ravanel le jeune qui manque de se faire enlever par un homme sur lequel le père du jeune homme tire un coup de fusil. Simultanément on découvre un porc sanguinolent entaillé de dizaines de coups de couteaux en tous sens, comme si on avait eu plaisir à le faire saigner. Bergues, un braconnier, part en raquette sur les traces de l’assaillant qui a été blessé. Mais il revient bredouille : les traces disparaissaient dans les nuages. Le village est terrifié et les habitants se calfeutrent chez eux attendant soit le lever du jour, soit le printemps chassant l’hiver.

[1844]

Le printemps arrive et l’on est toujours sans nouvelles de Marie Chazottes. Puis l’été lui succède où, au cours d’un violent orage, Frédéric II de la scierie voit s’abriter sous le hêtre extraordinaire un homme dont il apprend, après l’avoir conduit à l’abri, qu’il est de Chichilianne. A l’automne, le hêtre fait l’admiration des forêts environnantes. Survient l’hiver marqué par la disparition de Bergues dont le domicile laisse à penser qu’il a dû être appelé à l’extérieur, en plein repas. Quatre hommes partent aussitôt pour la gendarmerie de Clelles. Six gendarmes à cheval des casernes de Mens et de Monestier arrivent au village, dirigés par le capitaine Langlois.

Le village est mis sous surveillance par le capitaine (mots de passe/patrouilles/interdiction de sortir de chez soi sans être accompagné/couvre-feu/fouille des environs). Mais ces dispositions n’empêchent pas la disparition de Callas Delphin-Jules, imprudemment sorti seul.

L’hiver fini les gendarmes s’en vont et le village se remet à vivre avec un appétit nouveau comme en témoignent les nombreuses naissances de l’année 1944 et la création du Cercle des Travailleurs

Le retour de l’hiver marque également celui de Langlois à titre privé – il a pris un congé de trois mois. Et son installation au Café de la Route tenu par Saucisse, une vieille lorette corpulente de Grenoble, âgée de soixante ans, avec laquelle il converse fréquemment. Noël approche et Langlois découvre les ors (ou les cuivres) de l’église ; ce qui, ajouté aux préparatifs de la Messe de Noël, le conduit à penser qu’il n’y aura aucune disparition, « le divertissement » étant ainsi assuré, dit-il au prêtre. Rien ne se passe, en effet.

[1845]

Au mois de février suivant, à 7 heures du matin, Frédéric II découvre dans ses affaires une horloge. Il décide de se rendre à la scierie pour y prendre une feuille de bois de noyer, d’en faire une boîte et d’accrocher l’horloge dans sa maison. A proximité du hêtre extraordinaire, il perçoit un bruit, se dissimule, voit un homme descendre de l’arbre et disparaître. Il découvre des clous plantés dans le tronc pour servir d’échelle, s’en sert et entrevoit, au creux de l’arbre immense, le visage de Dorothée, une habitante du village dont la fenêtre était éclairée à son départ pour la scierie. Il descend aussitôt du hêtre et suit les traces de l’homme inconnu qui, par monts et par vaux pendant quatre heures, gagne un village : il est alors midi. Frédéric II apprend que le village est celui de Chichilianne. Et que la maison dans laquelle est entrée l’homme appartient à un certain M. V. Il retourne au Café de la Route pour y retrouver Saucisse et Langlois, qui le croyaient mort lui et Dorothée, et qu’il met au courant des événements.

Langlois, en compagnie de Frédéric II et de deux gendarmes, fait le guet à Chichilianne devant la maison du tueur toute la nuit. Puis il dicte son plan à ses hommes et à Frédéric II : il entrera dans la maison ; l’homme en sortira et on le suivra. Ce qui advient : l’homme sort, marche jusqu’à un hêtre et s’arrête. Langlois le rejoint et l’abat aussitôt de deux balles dans le ventre. Après quoi Langlois finit de rédiger une lettre de démission invoquant un accident et une maladresse de sa part ; puis il l’envoie.

[1846]

En 1846, à la fin du printemps, s’en revient Langlois, nommé commandant de louveterie, qui prend pension chez saucisse à l’Auberge de la Route. On le trouve peu bavard, « monacal » et « cassant ». Le village reçoit la visite du procureur royal qui dine, chez saucisse, en tête-à-tête avec Langlois et décide de la nomination d’un capitaine de louveterie qui sera Urbain de Timothée de Saint-Baudille qui est marié à une Mme Tim, une créole du Mexique, pays où il était allé faire fortune.

L’hiver venu, les loups s’approchent du village et, parmi eux, un loup aguerri parvient à égorger un cheval, une vache et treize brebis. Langlois organise alors une battue en forme de cérémonial. D’abord, il met au point un duo de clairon qui entame un véritable dialogue entre Avers et Saint-Baudille. Puis il planifie une battue générale en requérant la présence de Urbain Timothée, de sa femme Mme Tim. Il prévoit onze cors de chasse au milieu des rabatteurs. Il rassemble, pour ce dimanche de battue, quatre-vingts villageois à qui il donne un rôle précis et spécialisé. Enfin, il adjoint au groupe une Saucisse vêtue d’une magnifique robe qui la transfigure. Puis arrive le procureur royal. Et la battue commence, ponctuée des sons des cors qui font communiquer les différents groupes entre eux. Elle va s’achever au crépuscule, contre la muraille de Chalamont où le loup est enfin cerné. Les autorités emmenées par Langlois et munies de flambeaux rejoignent le groupe qui a fixé le loup. Langlois fait face au loup, s’avance et l’abat de deux coups de pistolet, comme il l’avait fait pour M. V.

[1867-1868]

Vingt ans plus tard, Saucisse – qui a près de quatre-vingts ans - a quitté le Café de la Route pour habiter au bongalove avec une nommée Delphine âgée de quarante ans. Leurs relations sont plutôt tendues. Le narrateur nous les montre guettant, d’une esplanade près du bongalove, l’arrivée du colporteur dont le bonnet rouge permet de le suivre à travers le paysage. Elles s’observent en chien de faïence ou se disputent à propos de Langlois. Saucisse s’en prend aussi directement aux habitants du village.

Un Langlois dont on apprend qu’au lendemain de la battue au loup, il était devenu l’ami de Mme Tim avec qui il se promenait, sur la place des tilleuls, à parler de « la marche du monde », de concert avec Saucisse. Ce sont les propos de Saucisse qui nous renseignent sur Langlois, sur son arrivée la première fois au village, sur ses réflexions concernant les disparitions, sur son retour après l’affaire M. V. Elle évoque, notamment, le jour où elle-même, Mme Tim et Langlois, à l'initiative de ce dernier, sont partis en boghei du côté du Diois, tout en évitant de passer par Chichilianne : elles ont alors découvert, arrivant dans un village, que Langlois se servait d’elles pour faire la connaissance d’une dentellière ; il leur demandait d’utiliser un subterfuge : une prétendue commande de dentelles. Les deux femmes ont parfaitement joué le jeu : Mme Tim, percevant chez la dentellière une femme aux abois, sait la rassurer sur le bien-fondé de leur visite. De son côté, Saucisse examine la pièce et en conclut que l’on avait entassé là des meubles et objets venus d’ailleurs. Elle voit aussi Langlois, assis dans un coin sombre de la pièce, observer un tableau d’un portrait d’homme. Un petit garçon montre son visage à la fenêtre et, voyant des inconnus, semble effrayé : c’est le fils de la dentellière. A court de paroles et de prétextes, Mme Tim finit par faire accepter trois louis d’or en guise d’avance à la jeune femme malgré un premier refus. Au retour, Langlois prend, de nouveau, un chemin de traverse pour éviter Chichilianne. Cette dentellière, - Giono nous le fait deviner - n'est autre que la femme de M. V , précédemment froidement exécuté par Langlois. Les confidences de Saucisse prennent un tour plus agressif encore : elle accuse les témoins de l’époque de ne pas avoir su interpréter les signes évidents, selon elle, que Langlois devait être surveillé : par exemple, le fait que Mme Tim restait de plus en plus souvent sur la placette des tilleuls, quitte à s’absenter longuement de son chez soi de Saint-Baudille ; ou encore que le procureur royal rendait plus souvent visite à Langlois. Et cela pendant plusieurs mois, preuve qu’il fallait surveiller, protéger, voire distraire le capitaine de louveterie. On apprend aussi, par Saucisse, que Mme Tim l’a invité à une fête de trois jours à Saint-Baudille, déclenchant un sourire de la part de Langlois .Ce qui montrait ainsi, selon Saucisse, qu’il n’était pas dupe de leurs efforts « pour le retenir » : « on perdait Langlois », dénonce Saucisse en accusant ceux qui sont venus la solliciter pour comprendre, et qui sont les villageois témoins de l’époque, de ne s’être rendu compte de rien. Quant à Langlois, il a toujours joué son rôle d’invité affable, courtois et attentif.

Deux mois après cette fête à Saint-Baudille, alors que l’automne est arrivé, Langlois décide de construire le bongalove et un labyrinthe en buis comme celui de Saint-Baudille. Puis, au cours de l’hiver, il demande à Saucisse de lui trouver une femme. Après discussion, il lui propose de chercher une femme de trente ans, lui qui en a cinquante six à ce moment-là.

Sur ces faits, Langlois se rend à Saint-Baudille pour évoquer son projet avec Mme Tim, selon Saucisse qui lui conseille de revenir avec elle pour qu’ils puissent tous trois s’entretenir de la décision de Langlois. Le soir même, après un repas abondamment arrosé de liqueurs et de rhum, la discussion roule autour du projet de mariage. Saucisse comprend que son ami souhaite que « personne ne se fasse d’illusions » et qu’il n’y ait pas de belle-famille. La semaine suivante, c’est le procureur du roi, mis au courant du projet par Mme Tim, qui rend visite à Saucisse. Après quoi les quatre amis se revoient encore à cinq ou six reprises.

Le printemps venu, Langlois donne le signal à Saucisse : tous deux se rendent à Grenoble pour trouver la future femme du capitaine. Après douze heures en patache, ils sont rendus et Langlois traite Saucisse en grande dame : il choisit deux chambres au nouvel étage d’un hôtel connu de saucisse pour la surprendre ; il l’invite dans le plus grand restaurant de la ville, où elle n'aurait jamais cru pouvoir mettre les pieds, pour un somptueux repas. Dès le lendemain, grâce à ses relations, Saucisse prend contact avec une petite soubrette très nature, sans esprit, nommée Delphine à qui elle explique « l’affaire » et qui accepte immédiatement. Langlois fait repartir Saucisse pour rester une huitaine de jours avec celle qu’il ne connaît pas encore. Les deux mariés s’installent à l’Auberge de la Route. Ils se rendent à Saint-Baudille pour se présenter à Mme Tim et au procureur.

Il neige le 20 octobre. Quelques jours plus tard, la voisine de Saucisse, Anselmie, voit arriver Langlois qui lui demande de couper la tête à l’une de ses oies et il reste jusqu’à la nuit, immobile, à regarder le sang de l’oie dans la neige.

Après quoi, il rentre chez lui. Il prend son repas et, laissant Saucisse et Delphine à leurs occupations, sort, comme d’habitude, pour aller fumer un cigare. Mais, ce soir-là, au fond du jardin, c’est un bâton de dynamite qu’il enflamme et qui explose.




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