La Femme infidèle de Chabrol

Intérêt
Film épuré, La Femme infidèle de Chabrol condense la plupart des thèmes habituels du réalisateur en une forme (mise en images et musique) éminemment sobre et classique, voire feutrée, mais traversée de brefs éclats de folie violente.


Table des matières

1. Analyse


Il faut signaler que cette oeuvre est le point de départ d’une série de trois des meilleurs films de Chabrol, réalisée sur deux années seulement : La Femme infidèle (1969), Que la bête meure (1969) [1], et Le Boucher (1970) [2].

L’histoire est linéaire, banale et sans aspérité, que celle de ce couple confortablement installé dans la vie : onze années de vie commune, un enfant et une belle demeure, reflet de leur aisance bourgeoise, ont transformé Hélène et Charles en co-habitants polis et courtois d’une vie amoureuse réduite à quelques regards bienveillants du mari auxquels répond une courtoise attention de la femme. Chabrol multiplie à dessein les scènes où le corps d’Hélène est légèrement vêtu sans que Charles y prête la moindre attention. Il est vrai que le cabinet d’assurances de Charles est très prenant, quand l’emploi du temps d’ Hélène, plus jeune que lui, est si vide. Bref, Chabrol dessine cruellement les figures classiques de la vie à deux quand le quotidien provoque le naufrage des sentiments : c’est ainsi qu’au moment du coucher, on voit Charles écouter un air de musique classique, cependant qu’Hélène ouvre précipitamment la fenêtre sur la vie nocturne du parc, en une « ouverture » symbolique, en une « aspiration » à une existence plus palpitante, ce qui introduit fatalement un troisième personnage. Cette femme belle et aimée s’ennuie et, telle une Bovary moderne, a un amant qui égaie, trois fois par semaine, ses escapades parisiennes.

Le film déroule, assez tôt dans le récit, les signes qui induisent les soupçons du mari (un coup de téléphone que la femme ne peut dissimuler, un supposé rendez-vous chez Carita où elle n’est pas), l’enquête d’un détective privée qui vise à les confirmer, la vérité révélée et le crime de jalousie.

La façade des bonnes convenances une fois lézardée, surgissent alors, jusque dans le calme feutrée de la belle demeure, les émotions, que l’on croyait absentes ou bannies, mais qui n’étaient en fait que refoulées : jalousie et violence chez l’un qui tue (victime d’un malaise chez cet amant honni qui constate : « Vous avez une sale gueule. », il répond un « Je sais. » (2), révélateur de sa certitude de ne pas mériter Hélène) ; souffrance et frustration chez l’autre, qui n’est plus que pleurs nés du soudain silence de l’amant. Le regard-caméra, qui excellait dans un va-et-vient « lisse » du mari à la femme, se fait plus insistant et traque les failles de l’âme sur des visages subrepticement défaits, enfin devenus plus humains. De même, la réalisation - qui excellait à proposer, le plus souvent, des dialogues convenus, des scènes banales de moments creux (repas, coucher, etc.), des panoramiques sur la demeure, des personnages impassibles – laisse sourdre des signes qui troublent la quiétude du quotidien – un coup de téléphone qui fait sursauter, un mouvement de caméra qui saisit Hélène comme une coupable à la porte du bureau, une visite surprenante, un meurtre inattendu et une enquête énigmatique.

Parallèlement, les rapports entre Charles et Hélène se modifient dès l’instant qu’ils partagent le secret : le respect mutuel teinté d’indifférence qui les caractérisait - et que révèle la difficulté d’Hélène, qui l’élude, à répondre à la question de son mari : « Est-ce que tu m’aimes ? » - se mue en une complicité tacite, puis active lorsque la photo compromettante de l’amant trouvée dans la veste du mari est brûlée par la femme. On peut noter, sur le gros plan de son visage, un regard songeur, pour le moins bienveillant, voire amoureux.

La dernière séquence qui les met en présence se conclut d’ailleurs sur un double « aveu » : comme Charles, sur le point d’être emmené par la police, lui avoue qu’il l’ « aime », elle lui répond en un écho révélateur : « Je t’aime. », avant qu’il ne la laisse sur un « je t’aime comme un fou. »

Ce couple, semble nous suggérer Chabrol, s’est donc re-construit sur un secret inavouable. La structure du film est, à cet égard, limpide : Chabrol oppose le monde des apparences à la réalité, et la surface lisse du quotidien à la profondeur trouble des émotions. On pourrait évoquer Racine et la brûlure de la passion qui couve sous les formes du maintien policé.

Mais l’univers de Chabrol est, à l’inverse, bien souvent celui de l’ambiguïté : cette ré-union de Charles et d’Hélène pour faire front contre l’adversité et sauvegarder l’ordre de leur vie n’est-elle que de circonstance ? Le départ de Charles encadré par les deux policiers signifie-t-il sa culpabilité ou annonce-t-il un simple interrogatoire ?

Il faut questionner le dernier plan du film (le mari, encadré par les deux policiers, s’éloigne de sa femme et de son enfant, puis se retourne vers eux) dans lequel Chabrol utilise, pour suggérer les sentiments contradictoires de l’union et de la séparation, un double travelling avant/arrière ou travelling compensé (3) : mari et femme sont séparés au moment où, sans doute, ils n’ont jamais été aussi proches ; de même, le spectateur doit abandonner le couple alors qu’il désirait le voir, enfin, dans sa vérité.

Il est à noter que la caméra – le regard de Charles - cadre Hélène et leur fils, immobiles, avant qu’un feuillage sombre ne les masque, qui enchaîne sur un fondu au noir de fin du film. Cette « mise au noir » suggère-t-elle, tout simplement, le déplacement spatial de Charles emmené par les deux policiers et perdant ainsi de vue Hélène et son fils ? Ou signifie-t-elle de façon allusive que Charles doit faire son « deuil » de sa famille, c’est-à-dire qu’il est désormais accusé d’être le meurtrier de Charles ?


2. Notes


1 - Pour l’anecdote, on signalera que cette scène du film cite directement le Psychose [3] de Hitchcock. Lorsque le mari entend se débarrasser du corps de l’amant enveloppé dans un drap, il le fait glisser dans un étang. Le cadavre s’enfonce, puis s’immobilise, suscitant, un bref instant, l’inquiétude du mari - et celle du spectateur -, avant de disparaître sous l’eau. La séquence avec Michel Bouquet/Charles Devallées est l’exacte réplique de celle avec Anthony Perkins/Norman Bates. Les seules différences portent sur un véhicule immergé (celui de Marion qui enferme sa dépouille) et le noir et blanc, d’un côté, et un corps bâché et la couleur, de l’autre. Ce qui permet à Chabrol d’ajouter une dimension esthétique à sa reprise : l’eau se refermant sur le corps est couverte de lentilles d’eau dont la densité et la couleur verte suggèrent un linceul qui ensevelirait la dépouille de Victor Pegala.

2 – On insistera sur l’humour sarcastique dont fait preuve Chabrol lors de la scène au cours de laquelle Charles rend visite à l’amant de sa femme qui, d’abord, surpris et inquiet par cette démarche, finit par se rassurer. Charles en profite alors pour le questionner sur sa femme, d’un air faussement détaché : « Et vous en êtes content ? » Cette conversation entre Charles et l’amant est tout à fait révélatrice de l’esprit volontiers potache de Chabrol, qui lui faisait filmer Jean Yanne offrant un gigot à Stéphane Audran en guise de bouquet de fleurs (Le Boucher [4]) ; ou encore qui mettait dans la bouche de Michel Duchaussoy une déclaration d’amour à Caroline Cellier qui signifiait, par le ton sur lequel elle était proclamée, tout son contraire (Que la bête meure [5]).

3 - Le travelling compensé est un effet cinématographique consistant à combiner un zoom arrière avec un travelling avant ou un zoom avant avec un travelling arrière de telle sorte que le sujet principal reste cadré de la même manière, seul le décor changeant de perspective. C’est ce procédé qu’utilise Hitchcock dans Vertigo/Sueurs froides [6] pour suggérer la sensation de vertige de son personnage.

NB :

Adrian Lyne a proposé une nouvelle version - très américanisée - de La femme infidèle sortie en France sous le nom de Unfaithful (2002) avec Diane Lane (l’épouse), Richard Gere (le mari) et Olivier Martinez (l’amant). Il n’est pas utile de comparer les deux versions car leur propos est sensiblement différent. Mais si elle n’a pas les qualités - littéraire et cinématographique - du film français , la version américaine d’Adrian Lyne, n’est pas pour autant dénuée d’intérêt. On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas l’influence du réalisateur français qui l’a rendu sobre mais il est évident qu’il se sort plutôt bien de son projet en évitant les effets faciles qui ont trop souvent marqué ses films. Inversant la trame de son célèbre Liaison fatale (1987), Adrian Lyne montre ici une femme qui est tentée par une aventure amoureuse, qui y cède et met ainsi en péril son couple et son enfant. L’adultère est plutôt bien observé par une caméra inspirée qui sait utiliser et mettre en valeur le charme séducteur des trois acteurs principaux : désirs, valse-hésitation, plaisir, craintes, remords, velléités de rupture, d’un côté ; soupçons, incrédulité, désespoir, colère et détermination de l’autre côté. Et c’est là l’un des intérêts du film : nous proposer deux points de vue (celui de la femme et du mari) jugés finalement aussi estimables l’un que l’autre. Sans révéler la fin, on ne peut passer sous silence l'ingéniosité du double plan final (caméra filmant, d'abord, mari et femme dans l'intimité de leur véhicule ; auquel succède un cadrage extérieur du même véhicule en plan large) en une conclusion inattendue et d'une grande force de suggestion, point d'orgue d'un film qui offre une réflexion juste sur le couple.


3. Synopsis


Charles mène une vie bourgeoise avec sa femme Hélène et son jeune fils, Michel dans une demeure luxueuse. Son cabinet d’assurances prospère occupe ses journées, tandis que sa femme, aidée d’une employée, utilise ses loisirs dans des voyages à Paris à courir les boutiques.

Un jour, alerté par certains signes, il est pris de soupçons sur l’emploi du temps réel d’Hélène. Il s’adresse donc à un détective privé, dont l’enquête, rondement menée, lui révèle ce qu’il pressentait : sa femme le trompe avec un certain Victor Pegala !

Charles garde le secret et vérifie qu’elle se rend au domicile de Pegala à trois reprises chaque semaine. Pris d’une curiosité malsaine, il attend l’anniversaire de son fils et, Hélène étant occupée à recevoir les enfants invités à fêter l’événement, il se rend au domicile de Pegala. Ce dernier, d’abord méfiant d’avoir devant lui le mari de sa maîtresse, finit par se sentir à l’aise face à ce mari complaisant et si compréhensif des frasques de sa femme. Il lui fait visiter l’appartement et lui confie volontiers quelques détails concernant leur rencontre. Mais Charles, fou de jalousie, ne peut endosser plus longtemps l’habit du mari tolérant : brusquement humilié par une remarque de Victor, il se saisit impulsivement d’une statuette avec laquelle il frappe violemment Victor qui s’écroule, mort. Charles reprend ses esprits, enveloppe le corps dans un drap, nettoie les traces de son passage, transporte le cadavre dans le coffre de son auto, avant de le faire disparaître dans un étang proche. (1)

La vie avec Hélène reprend son cours habituel d’avant le meurtre. Charles, qui continue de garder le silence sur les événements, observe son épouse, désemparée de n’avoir plus de nouvelles de son amant. Il essaie d’être plus près d’elle et – toujours sans rien dire – de l’aider, dans l’espoir que le temps qui passe la consolera.

Mais les enquêteurs, alerté de la disparition de Victor par son ex-femme, ont retrouvé le nom d’Hélène dans son carnet d’adresses, et deux policiers se présentent au domicile des Desvallées. Interrogée, Hélène explique avoir rencontré Victor Pegala au cours d’une soirée et Charles affirme, de son côté, ne pas le connaître. Mais, Hélène découvre peu après une photo de son amant dans la poche d’une veste de son mari et comprend les raisons de la disparition de Victor.

Lorsque les inspecteurs se présentent de nouveau à leur domicile – sans que l’on sache si c’est pour accompagner Charles au commissariat, ou si c’est pour le mettre en examen –, un regard intense, lourd de signification, lie le mari et la femme…


4. Fiche technique


  • Année : 1969
  • Réalisation et scénario : Claude CHABROL
  • Directeur de la photographie : Jean RABIER
  • Musique : Pierre JANSEN
  • Production : André GÉNOVÈS - Les Films de la Boétie (Paris) /Cinégay (Rome)
  • Distribution : CFDC-UGC
  • Durée : 95 minutes

Distribution :

  • Hélène Desvallées : Stéphane AUDRAN
  • Charles Desvallées : Michel BOUQUET
  • Victor Pegala : Maurice RONET
  • L’officier de police Duval : Michel DUCHAUSSOY
  • L’officier de police Gobet : Guy MARLY
  • Le détective privé : Serge BENTO
  • La bonne : Louise CHEVALIER
  • La mère de Charles : Louise RIOTON
  • Paul : Henri MARTEAU
  • Michel Desvallées : Stéphane Dl NAPOLI
  • Frédéric : François MORO-GIAFFERI
  • Le camionneur : Dominique ZARDI
  • Le client du café : Henri ATTAL
  • Brigitte : Donatella TURRI




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Droits d'auteur © Henri PHILIBERT-CAILLAT


5. Bande annonce




 
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Contenu sous droits d'auteur — Dernière mise-à-jour : 2015-02-10 14:40:01




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