The Housemaid de Im Sang-soo

Intérêt
Le récent The Housemaid de Im Sang-soo est le type même du film dérangeant dans la mesure où il scrute sans concession le sentiment du mal-être des humbles né du mépris des nantis et les conséquences néfastes qui s’ensuivent.


Table des matières

1. ANALYSE


En proposant une nouvelle version du film de 1960 (La Servante de Kim-Ki-Young), le réalisateur a sans aucun doute voulu signifier que, mutatis mutandis, cinquante années plus tard, la même exploitation de l’homme par l’homme – des pauvres par le nantis, en l’occurrence - continue de sévir dans son pays, et que, dans le fond, rien n’a vraiment changé.

Bref, une version cinématographique moderne de l'éternelle lutte du Maître et de l'Esclave selon Hegel.

Le huis clos de la maison a un triple intérêt contradictoire  : d'abord, il contraste, par son immense espace intérieur magnifié par l'escalier monumental, avec les premières scènes filmées dans des rues étroites ; en outre, il oppose la vie grouillante et chaleureuse de ce quartier et le silence froid qui habite cette demeure ; enfin, il met en parallèle la multitude des habitants du quartier au petit nombre de personnes de la maison en un reflet symbolique de la puissance de cette famille.

Décor principal du film, la demeure impressionne par une architecture habilement mise en scène par le réalisateur. Sont présentés, en effet, de vastes espaces qui isolent les personnages : c'est ainsi que la gouvernante n'est le plus souvent filmée que dans les couloirs, preuve de son insignifiance. Par ailleurs, ce sont les portes fermées ou ouvertes qui sont autant de signes symboliques des rapports entre les personnages : la porte, d'abord, entrouverte, puis ouverte en entier de Nami montre son affection croissante envers Eun-yi , alors que la porte de la chambre de Eun-yi sans cesse ouverte, notamment par Hoon, révèle combien elle se trouve à la merci du maître, offerte à son droit de cuissage. L'affabilité sociale hypocrite a droit, quant à elle, à se manifester dans le grand espace du salon où trône le canapé.

Un tableau critique de cette classe supérieure qui est montrée comme étrangère dans son propre pays en affichant un  goût manifeste, voire ostentatoire, pour la culture occidentale : Cf. l’interprétation au piano de Beethoven ; l’écoute de la Callas ; la lecture de romans français ; le leitmotiv du cérémonial de la consommation de vin rouge qui accompagne la plupart des séquences ; les nombreuses poupées blondes de Nami ; voire l’utilisation d’expressions françaises ou anglaises. Le constat est clair : cette riche bourgeoisie se nourrit d’un peuple que, par ailleurs, elle méprise. Plus encore, censée représenter l’idéal de la société - elle a le pouvoir, l’argent et l’aisance -, elle se révèle froide, hautaine et condescendante et sert de repoussoir. On rappellera la formule - en forme de sigle dont elle les affuble - sans appel de la gouvernante, pourtant depuis longtemps au service de la famille, lorsqu’elle explique à Eun-yi combien les maîtres sont abjects quand il considère les domestiques à leur service comme étant taillables et corvéables à merci

La réalisation, malgré le propos acerbe du film, ne se départit pas des signes chaleureux comme dans les séquences initiales de la ville populaire et vivante, lors des scènes érotiques très charnelles – et crues - entre le maître Hoon et l'esclave Eun-yi ou encore à travers l'évolution affective de la fillette s'attachant à sa « nounou ». Par ailleurs, le réalisateur multiplie avec bonheur les résonances à l'intérieur du film : c'est le suicide initial filmé dans la rue qui annonce le suicide final de Eun-yi ; c'est aussi l'accident provoqué par la belle-mère, lors du nettoyage du lustre, qui sert de répétition à la séquence finale de la pendaison au même lustre.

Un autre atout du film réside dans l'évolution des personnages : de la servante naïve à la femme obnubilée par la vengeance ; de l'épouse insignifiante qui se mue en femme féroce de jalousie ; de la vieille gouvernante soumise qui veut aider, en la conseillant, la jeune servante. Le réalisateur insuffle ainsi un souffle de vie et de réalisme bien venu dans ce huis clos qui aurait pu n'être qu' étouffant.

De même, le réalisateur – en cinéaste de talent qui sait « dire » par l'image autant que par les mots - se sert des objets pour livrer le sens de son film, C'est ainsi que l'on peut voir dans le médicament inoculé par la belle-mère à Eun-yi non seulement la drogue toxique qui est censée provoquer sa fausse couche, mais, surtout,à terme, le poison moral qui va l'affecter et la conduire jusqu'à une vengeance absurde.

Faute de pouvoir prendre en exemple cette famille privilégiée, les personnages sont atteints par un mal qui les contamine et corrompt leur innocence : ainsi, le « cœur pur » de Eun-yi, selon les propres termes de la gouvernante, finit pourtant souillé (1) par les malheurs qu'elle subit et, prétendant se venger de ses maîtres, elle ne fait que punir Nami la petite fille qu'elle élevait, qu'elle appréciait et qui l'appréciait.

  NOTE :

(1) Cette « souillure » peut se comprendre à un double niveau : soit la vengeance concoctée par Eun-Yi se trompe d’objectif puisqu’elle s’exerce, en fait, contre Nami. Cette dernière devra vivre avec cette épouvantable vision du sacrifice de Eun-Yi ; soit son acte a pour but de se venger de ses maîtres en traumatisant volontairement leur fille. Dans les deux cas, la servante égale en cruauté ses maîtres dans la mesure où elle immole une enfant à l’origine distante, voire méprisante mais que, par son amour et son naturel, elle avait su rendre humaine et chaleureuse.

A contrario, on peut toutefois voir dans le dernier plan la seule note d’espoir du film : la caméra fixe, en gros plan, le regard de Nami empreint d’une grande mélancolie On peut supposer que la fillette n’a pas oublié Eun-Yi et qu’elle est encore sous le choc du sacrifice épouvantable de sa « nounou ». Ce signe d’humanité chez la fillette annonce peut-être un regard plus humain entre les classes sociales. Prenons donc rendez-vous dans cinquante ans pour la nouvelle version 2060 de The Housemaid...


2. SYNOPSIS


Jeune fille issue du peuple, Eun-yi se fait engager comme bonne à tout faire (garde d'enfant et ménagère) par une famille privilégiée, à l'issue d'un entretien favorable conduit par la gouvernante de la famille, Byung-sik, personne réservée et froide dans ses rapports avec elle. Elle doit s'occuper de la petite fille de la maison, Nami, avec qui elle entretient une bonne relation. Hera, la maîtresse de la maison, attend des jumeaux, A l'insu de sa femme et en toute bonne conscience, Hoon, le maître de maison, noue une liaison avec sa bonne. Dans un premier temps, cette dernière nage en plein bonheur. Mais elle comprend très vite qu'elle n'est qu'une distraction sexuelle pour lui.

La gouvernante, aigrie par ses longues années passées à servir une famille égoïste, découvre une intimité qu'elle réprouve et, après une longue observation, avertit la mère de Hera que la servante est enceinte. Dès lors, contrairement à ce que lui conseille sa mère qui souhaite utiliser la situation pour que sa fille en vienne à dominer le mari, Hera se met à haïr son mari et à vouloir supprimer l'enfant qu'attend Eun-yi. Avec la complicité de sa mère qui commence par pousser Eun-yi alors qu'elle nettoie le lustre qui pend dans le vide ; qui lui fait prendre ensuite, à son insu, de prétendus médicaments curatifs qui, en fait, l'empoisonnent et qui organise enfin un transfert à l'hôpital où, grâce à ses relations médicales, elle fait procéder à un avortement forcé, Hera accomplit sa vengeance.

Mais Eun-yi revient troubler l'hypocrite quiétude d'une famille qu'elle déteste désormais comme le faisait avant elle Byung-sik qui lui conseille pourtant de laisser cette ignoble famille et de refaire sa vie ailleurs. Mais la servante reste sourde aux bons conseils et organise, à son tour, une vengeance diabolique. Elle s'introduit dans la maison, interpelle femme, mari et belle-mère sur leurs turpitudes, puis annonce que leur fille, Nami, gardera d'elle un souvenir inoubliable : après quoi, elle se jette dans le vide, pendue au lustre et enflamme son corps.

Une dernière séquence montre la famille lors de l'anniversaire d'une Nami couverte de cadeaux comme de bien attendu. Mais la caméra fixe le regard de Nami : il est mélancolique et ses yeux sont toujours ouverts sur l'épouvantable spectacle du suicide de Eun-yi...


3. FICHE TECHNIQUE


  • Titre international : The Housemaid
  • Titre original coréen : 하녀 (Ha-nyeo)
  • Réalisation : Im Sang-soo
  • Année : 2010
  • Scénario : Gina Kim/Im Sang-soo
  • Producteur : Jason Chee
  • Directeur de la photographie : Lee Ha-jun
  • Costumière : Choi Se-yeon
  • Directeur artistique : Lee Ha-jun
  • Compositeur : Kim Hong-jip
  • Monteur : Lee-Eun-soo

Distribution :

  • Jeon Do-yeon : Eun-yi
  • Lee Jung-jae : Hoon
  • Seo Woo : Hae Ra
  • Yoon Yeo-jeong : Byeong-sik
  • Ahn Seo-hyeon : Nami
  • Park Ji-young : la belle-mère




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Droits d'auteur © Henri PHILIBERT-CAILLAT


4. BANDE ANNONCE




Catégorie (1) Cinéma 
   
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Contenu sous droits d'auteur — Dernière mise-à-jour : 2016-08-31 11:00:55




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