1. Analyse
Ce film ne cesse d’étonner et de fasciner par l’extrême richesse de son contenu et son apparence de conte de fée : à travers le destin d’un sportif, il dresse un tableau saisissant de la société américaine et de ses valeurs.
On y trouve, bien sûr, un hymne au base-ball et à sa place, quasi sacrée, dans la culture américaine. On a droit d’ailleurs à la cérémonie quasi « religieuse » de chaque rencontre : aux rituels précédant la rencontre scrupuleusement observés, aux joueurs au garde-à-vous, aux spectateurs debout chantant en chœur. On y démonte le mécanisme même de la fabrication des idoles et de la légende du sport à travers l'évocation - à l'aide d'extraits de documents d'actualité filmés en couleur sépia - de la ferveur populaire alimentée par des médias enflammés. Le journaliste Max Mercy, à sa façon ambiguë, contribue, certes, à faire de Roy une sorte de Héros, mais il n'hésite pas à remuer la boue des ragots pour mieux le rabaisser. Plus symboliquement, la batte de Roy est présentée comme une sorte d'Excalibur modernisée, et semble rattacher le sportif d'aujourd'hui aux Héros du Moyen-Age dotés de pouvoirs magiques.
Mais le sport permet, aussi, au film d’analyser une société et un pays. Barry Levinson, fort habilement, dessine les rapports entre le sport et l’argent, ce qui lui permet de dénoncer, en un tableau cru, une pratique qui va à l’encontre de l’idéal sportif : tout joueur est entouré d’un milieu professionnel intéressé par le gain (financiers malhonnêtes, parieurs en tous genres, journalistes sportifs véreux, etc.) et susceptible de truquer les résultats lorsque des sommes importantes sont en jeu. Cet univers trouble, voire gangrené, se niche au cœur des villes et représente un monde moderne citadin, qui fonctionne comme un miroir aux alouettes (argent et sexe faciles, corruption généralisée) qui détruit ceux qui se laissent attirer. Mais cette présentation négative se complète d’une autre vision : le film fait, en contrepoint, l’éloge d’une autre Amérique, celle des campagnes, que le réalisateur dépeint comme idyllique et associe aux images de la nature (Cf. le titre original The Natural), ancrée dans la tradition et les valeurs durables de la famille et du bonheur.
Ce contraste entre « bien » et « mal » en appelle un autre : parallèlement, le film oppose les personnages positifs structurés par ces valeurs (Roy, Iris, l’entraîneur Pop) et les personnages maléfiques (Harriett Bird, Memo Paris, Max le journaliste, le parieur et le juge) qui se mettent en travers des premiers pour mieux les abuser et profiter d’eux. Mais la force de l’idéal de ceux-ci anéantit les sombres projets de ceux-là.
Ce sont ces valeurs « sacrées » qui vont inspirer Roy Hobbes dans sa volonté de réussir son retour au sport de haut niveau quinze années plus tard. Le film multiplie alors les signes « magiques » qui se répondent les uns aux autres : batte de Roy Hobbes sculptée dans l’arbre centenaire de la ferme sous lequel a péri son père ; coup extraordinaire qu’il réussit un soir d’orage et qui rappelle cet arbre centenaire brûlé par la foudre la nuit même de la mort de son père.
Cette symbolique des correspondances se vérifie aussi lorsque, au cours d’une rencontre, la balle va fracasser l’horloge du stade suggérant ainsi, en une riche métaphore visuelle, que le temps perdu peut, d’une certaine façon, se rattraper, et qu'il est toujours possible d'avoir une seconde chance dans la vie pour peu qu'on le veuille, que l'on fasse les bons choix et, sans doute, les bonnes rencontres. On rappellera que les quinze années d'errance de Roy Hobbes sont la conséquence de la disparition de son premier entraîneur après son départ pour la ville de Chicago, et que son retour au premier plan sportif le mène, de nouveau, dans une impasse. Jusqu'à ce que réapparaisse dans sa vie Iris. Et la séquence de la balle qui fait exploser l'horloge prélude, précisément, au retour d’une personne, Iris (Glenn Close), qui fait partie de l’ enfance même de Roy. Sa présence au stade - ignorée de lui, même s'il la pressent - suffit à lui rendre tout son talent.
Le réalisateur marque ainsi, par l'image, le lien fort qui court entre passé et présent, parents et enfants, tradition et fidélité et qui, d’une génération à l’autre, de l’enfance à la maturité, assure la stabilité d’une personnalité, la permanence d’une culture et, plus généralement, la survie d’une nation. On signalera aussi la beauté et la force visuelles de la transition entre la séquence de l’ultime match et la séquence finale en guise de reprise du début du film dans la continuité des gerbes d’étincelles se métamorphosant en une balle lumineuse qui déchire le ciel, soulignée d’un thème musical envahissant qui se fige peu à peu dans une immobilité symbolique d’un éternel retour, celui de la fidélité aux valeurs fondatrices.
Une séquence finale qui reprend, d'ailleurs, point par point, à l’identique (un père enseigne le base-ball à son fils), la séquence du début du film, - à une différence près (le temps a passé et les générations sont différentes) -, et nous confirme ainsi le sens profond du film qui est celui de la fidélité, de la continuité et de la transmission.
On doit, enfin, rendre hommage au traitement très travaillé de la photographie dans le film, qui nimbe de lumière les personnages positifs (Roy Hobbes, Iris, Pop) alors que les personnages néfastes sont toujours montrés dans l’ombre (le parieur) ou habillés de noir (la femme du train, Memo Paris). Une photographie très étroitement liée au sens du film, donc. Il en est de même pour la musique de Randy Newman qui illustre à merveille les moments de doute du personnage mais aussi, par le thème musical de l’exploit (repris ironiquement en contresens volontaire dans le Predator de John Mac Tiernan). Véritable leit-motiv, elle ponctue chaque étape d’un chemin de la vie qui nous conduit – fascinés par un film, commercial certes, mais profondément sensible et attachant – vers un monde idéal où chacun trouve la place qu’il mérite.
Le cinéma est fait pour offrir du rêve et de la féerie, n’est-ce pas ? Et ce film en est l’illustration en s’accordant pleinement à nos désirs de spectateurs.
Compléments :
- Le roman de Bernard Malamud (The Natural), écrit en 1952, a pour source d’inspiration l’histoire d’un jeune joueur-vedette de base-ball, Eddie Waitkus, qui fut abattu par une admiratrice, Ruth Steinhagen, secrétaire de 19 ans, pour d’obscures raisons d’amour frustré - alors qu’elle ne l’avait jamais rencontré. Au cours de la séquence du train, l’apparition soudaine d’une Harriett Bird vêtue prémonitoirement de noir et les paroles énigmatiques qu’elle adresse à Roy, font, à l’évidence, référence à ce faits-divers.
- Si Robert Redford est un Roy Hobbes très charismatique, on aura un avis plus nuancé sur le choix de Glenn Close pour interpréter Iris : excellente actrice, certes, mais son physique s'accorde mal, me semble-t-il, à ce que représente son personnage.
2. Synopsis
Sur le quai d’une gare, en 1924, un homme d’une trentaine d’années, Roy Hobbes (Robert Redford), pensif, se souvient… En 1918, élevé par son père fermier dans l’amour du base-ball, il est devenu, une fois adolescent, un espoir confirmé. Après la mort de son père, foudroyé sous un immense arbre, il a alors quitté sa bien-aimée voisine, Iris (Glenn Close), et sa famille pour aller faire un essai dans un grand club de Chicago. Mais dans le train qui le conduisait en compagnie de son entraîneurvers la grande ville, il a rencontré une femme mystérieuse, Harriett Bird (Barbara Hershey). Un « accident » imprévu a alors brisé net ses projets.
Quinze ans plus tard, lui sera-il encore possible de réaliser ses rêves ? En effet, engagé par l’équipe des Knights de Chicago, il a du mal à passer pour un joueur déterminant compte tenu de son âge et de son absence de notoriété, de sorte que l’entraîneur Pop Fisher préfère le, laisser sur le banc de touche. L’équipe ne cesse de perdre rencontre sur rencontre, au point qu’un conflit d’intérêt entre Pop Fisher et un financier véreux, le Juge Banner, qui entend s’emparer du club, menace un peu plus l’avenir des Knights. D’autant plus qu’un journaliste à la recherche du sensationnel et un parieur malhonnête œuvre également en coulisses pour déconsidérer l’équipe au profit du juge Banner. Roy Hobbes finit pourtant par faire remarquer ses qualités à l’entraînement et Pop Fisher consent à le faire jouer. Il permet à l’équipe d’enrayer la spirale des défaites et redonne même une âme de vainqueurs à des coéquipiers transcendés par son exemple. Mais la nièce de PopFisher, Mémo Paris (Kim Basinger), manipulée par son amant, le Parieur, détourne Hobbs de son métier en lui faisant connaître une vie de plaisirs faciles. L’équipe connaît de nouveau des jours sombres et renoue avec la défaite. C’est alors qu’une femme apprend incidemment la notoriété de Roy Hobbs et décide de le rencontrer : c’est Iris, dont l’intervention va influencer la conduite du joueur.
Les événements se précipitent et l’avenir des Knights, qui doit se jouer sur une ultime et décisive rencontre, repose sur les épaules d’un Roy Hobbes au centre des influences contradictoires d’Iris, de Memo Paris, de Pop Fisher, du parieur et Juge Banner. Un final haletant et cinématographiquement lumineux, ponctué d’un coup de théâtre habile, dénoue l’écheveau des intérêts divergents, assure le triomphe des Knights et renvoie le spectateur, ravi, au commencement même du film en une boucle ô combien signifiante.
3. Fiche technique
- Titre original : The Natural
- Année : 1984
- Réalisation : Barry LEVINSON
- Scénario : Roger TOWNE, Phil DUSENBERRY, d’après le roman de Bernard MALAMUD (1952)
- Directeur de la photographie : Caleb DESCHANEL
- Musique : Randy NEWMAN
- Production : Tri-Star Films
- Distribution : Warner-Columbia
- Durée : 122 minutes
Distribution :
- Roy Hobbs : Robert REDFORD
- Max Mercy : Robert DUVALL
- Iris Gaines : Glenn CLOSE
- Memo Paris : Kim BASINGER
- Pop Fisher : Wilford BRIMLEY
- Harriet Bird : Barbara HERSHEY
- Le juge Banner : Robert PROSKY
- The Whammer : Joe Don BAKER
4. Edition DVD zone 1
Image : le dvd offre de très belles images aux couleurs nuancées. Quelques défauts de pellicule peu importants subsistent.
Son : il est préférable de privilégier la VO DD 5.1 d’une plus grande ampleur sonore que la VF stéreo dolby surround (qui ajoute un second degré très discutable dans les dialogues) et qui restitue à la magnifique et célèbre musique de Randy Newman tout sa force lyrique.
Suppléments’ : ils sont le parent pauvre de cette édition pourtant Collector. Le dvd offre surtout un documentaire sous-titré très intéressant et deux bandes-annonces.
Jaquette : elle illustre visuellement le sens du film : gloire au héros (Robert Redford en lanceur) dans une nature en toile de fond (blé de la ferme et collines).
NB : il est à noter qu’une version "Director’s cut" existe. Mais elle concerne surtout le début du film et ses retours en arrière, et ajoute quelques saynettes. Cela n’améliore pas vraiment le film…
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5. Bande annonce
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