1. ANALYSE
Le titre
Le titre révèle le propos du romancier. Dès lors que le roman source de Daniel Defoe a pour nom The life and strange adventures of Robinson Crusoe of York, mariner, Michel Tournier choisit un titre - Vendredi ou les limbes du Pacifique - qui se démarque de celui de Defoe. Substituant Vendredi à Robinson, le romancier moderne met l’accent sur l’indien Vendredi (comme le confirme, d’ailleurs, la version pour enfant publiée quatre années plus tard et intitulée Vendredi ou la vie sauvage, 1971) au détriment de l’Anglais Robinson. Par ailleurs, le titre insiste sur l’alternative avec l’expression « ou les limbes du Pacifique » soulignant ainsi le no man’s life d’une personnalité en reconstruction. Si les limbes sont, par définition, le lieu de séjour des enfants morts sans avoir été baptisés, on aura confirmation que l’île de Speranza figure bien le lieu spatio-temporel de la latence, d’une modification à venir pour Robinson, voire d’un enfantement en germe.
Les thèmes
Robinson est face à l’île comme Sisyphe devant son rocher (Cf. Le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus [1]). Mais Robinson après l’avoir appelée « L’île de la désolation » finit par la nommer « l’île Speranza ». Une différence notable puisque quand l’un (Sisyphe) ne fait que répéter l’absurde, l’autre (Robinson) met l’accent sur l’espoir.
Du point de vue du récit et des personnages, - n’en déplaise à feu Jean-Paul Sartre (1) - le « romancier démiurge » n’a pas dit son dernier mot. Ainsi Michel Tournier, dès l’entame de son livre, crée et trace le destin de son personnage, Robinson. Le roman s’ouvre, en effet, sur une conversation entre le capitaine Pieter Van Deyssel et Robinson Crusoë. (2) Celui-là prédit, en se fondant sur le jeu de tarot de Marseille, à celui-ci son avenir – et le récit à venir. Chaque carte tirée et commentée trouve, en effet, sa vérification dans la suite du roman. Le romancier, tel un démiurge, soumet donc bien sa créature à ce qui lui tiendra lieu de destin.
Par ailleurs, la tempête concomitante qui se déchaîne et dévaste l’océan annonce sans doute l’explosion de la grotte de Speranza comme une prémonition de la métamorphose à venir de Robinson.
Une métamorphose rendue nécessaire par la solitude de Robinson longtemps privé de toute présence humaine, Vendredi n’intervenant qu’au chapitre VII (sur XI). Dès lors, comment remplir le vide de l’existence sans autrui se demande, avec son personnage, Michel Tournier. Le sens donné à leur quotidien est pour la plupart des hommes, largement tributaire de leurs semblables. Autrui n’est-il pas, en effet, l’essentiel de ce « divertissement » que Pascal a dénoncé parce qu’il nous détournerait de l’essentiel ? Mais sans « divertissement », il faut bien parvenir à conjurer l’ennui et donner un sens à cette vie. On peut évoquer quelques exemples littéraires. Le Sisyphe d’Albert Camus [2] condamné à rouler son rocher jusqu’au sommet de la montagne – métaphore de l’absurde dont il fait sa raison de vivre. Ou encore le Langlois d’Un Roi sans divertissement (1947) [3] de Jean Giono, qui, à l’inverse, faute d’une réponse qui le satisfasse, finit en explosion solaire ? Voire l’Abel Reilhan de L’Epervier de Maheux (1972) de Jean Carrière vaincu par cela même qui fondait son existence, le creusement de la roche dans la recherche d’une eau devenue mythique ?
Robinson, quant à lui, cherche une raison de survivre qui se révèle peu à peu à travers son évolution psychologique et physique. Face à la solitude insulaire de Speranza et au plus près de la nature, il est en quête d’une vérité qui fonderait sa nouvelle vie.
Son premier mouvement est de refuser sa présence sur l’île (qu’il nomme d’instinct Ile de la Désolation) en fixant obsessionnellement la mer pour y apercevoir un navire et l’arrivée de secours. Puis il envisage de la fuir en construisant un radeau. L’île sur laquelle il a échoué figure alors bien pour lui une prison existentielle dont il faut s’évader à tout prix. Sa vie est d’abord marquée par le refus d’assumer une situation inacceptable à ses yeux et le choix d’une vie animale qui le conduit à la bauge et où il se vautre en essayant d’effacer la conscience d’un présent malheureux par le recours aux souvenirs de l’enfance.
Pourtant, le rejet instinctif de cette Ile de la Désolation, synonyme de vacuité présente et future, disparaît suite à l’hallucination qui lui fait voir sa sœur Lucy morte sur un vaisseau approchant l’île. Robinson, craignant pour sa santé mentale, décide aussitôt de tourner le dos à la mer et s’enfonce vers le centre de l’île et de la solitude, signe fort d’une acceptation de son sort et d’un lieu qu’il baptise justement Speranza (p.42). Métaphoriquement, après le désir du divertissement - espérer l’arrivée d’un navire et/ou s’évader avec le radeau -, Robinson accepte enfin sa condition et son existence de naufragé solitaire.
Dès lors, la perception de Speranza – figure métaphorique de la condition humaine - par Robinson évolue au cours de quatre périodes. D’abord, en phase de régression, il en fait une mère et il s’acharne à explorer l’orifice-vagin de la grotte, s’enduit de lait et s’abandonne dans une alvéole en un retour à la matrice originelle et au fœtus qu’il redevient comme s’il s’agissait d’une préparation à une renaissance. Puis il considère l'île de Speranza comme un champ d’expérimentation à ses volontés de créateur : il l’ensemence, en récolte les fruits et l’administre en élaborant une Charte bientôt suivi d’un Code Pénal. Il multiplie les projets : arpenter l’île ; la cadastrer ; recenser les espèces végétales et animales, parachever son projet de transformer les marécages en rizière, créer un Conservatoire des Poids et Mesures ; construire une vraie maison, etc. L’île devient même une épouse qu’il féconde dans une combe, dont la prairie vallonnée devient, pour lui, l’image même des lombes de Speranza ; de ces copulations répétées naît un fruit sous la forme d’une mandragore.
Robinson renoue ainsi le contact avec la nature mais il ne peut s’empêcher d’éprouver un violent sentiment d’absurdité : pour qui tous ces efforts ? Les trois Speranza – l’île mère, l’île transformée et administrée, l’île femme – ne suffisent pas à lui donner une raison de vivre satisfaisante. Sa métamorphose n’est pas achevée. L’arrivée de Vendredi devient l’élément déterminant qui va le conduire vers son nouvel être. C’est, en effet, grâce à Vendredi que Robinson passe des valeurs rationnelles du travail, de la productivité et de l’épargne, de la conquête et de la domestication de la nature - qui sont celles de sa civilisation - à celles qu’incarne son compagnon. Porteur d'une vie innocente, frémissante et rapide, Vendredi accepte la nature telle qu’elle est, mène une vie instinctive, expérimente les joies du corps et privilégie la fantaisie – ce qu’admire en lui Robinson. Au contact de son compagnon qui finit par représenter tous « les Autres » possibles (fils, père, frère, voisin, etc.) Robinson fait ainsi l’apprentissage du respect d’autrui et de sa différence. Cette ultime phase est celle de la métamorphose solaire : vouant un culte au soleil, il ne se préoccupe plus que de l’instant présent et en arrive même à avoir l’impression de revivre indéfiniment la même journée, connaissant ainsi une sorte de sentiment d’éternité. Se transcrit alors en filigrane dans le quotidien de Robinson, jour après jour, une conception du bonheur de vivre faite de l’acceptation et du plaisir d’autrui et de l’absence d’inquiétude métaphysique. On notera que c’est l’arrivée d’un navire venu d’occident qui remet en question (passagèrement ?) ce nouvel art de vivre construit par Robinson. La fin du roman révèle pourtant que les différences entre Robinson et Vendredi ne se sont pas comblées. Vendredi, tout à sa fantaisie et à sa capacité d’adaptation, choisit spontanément la nouveauté du bateau salvateur et l’attrait d’une autre vie ; Robinson, à l’inverse, décide de rester cet homme solaire que l’île a engendré au cours de ces vingt-huit années.
Possible synthèse de Robinson (homo occidentalis) et de Vendredi (« le bon sauvage», au sens où l’expression était utilisée au XVIII° siècle pour désigner « l’homme naturel »), le dernier venu, Jan le mousse - aussitôt nommé Jeudi - incarnera-t-il cet être nouveau, l’homme solaire, créé par le démiurge Robinson ?
2. NOTES
:
(1) Dans Le Romancier et ses personnages (1933), François Mauriac écrivait que « Le romancier est, de tous les hommes, celui qui ressemble le plus à Dieu. » s’attirant une sévère critique de Jean-Paul Sartre (1939) : « Monsieur Mauriac a écrit un jour que le romancier était pour ses créatures comme Dieu pour les siennes.[…]. Mais un roman est écrit par un homme pour des hommes. Au regard de Dieu, qui perce les apparences sans s’y arrêter, il n’est point de roman, il n’est point d’art, puisque l’art vit d’apparences. Dieu n’est pas un artiste; M. Mauriac non plus. »
(2) Un bref rappel de l’ordre des cartes tirées et des commentaires n’est donc pas inutile en ce qu’il constitue un véritable résumé de l’œuvre.
- 1 – Le démiurge : « Il y en vous un organisateur qui lutte contre un univers en désordre qu’il s’efforce de maîtriser avec ses moyens de fortune. Mais son œuvre est illusion, son ordre illusoire. Il l’ignore. Le scepticisme n’est pas son fort. »
- 2 – Mars : « Le petit démiurge a remporté une victoire apparente sur la nature. Il a triomphé par la force et impose autour de lui un ordre qui est à son image. »
- 3 – L’Hermite : « Le guerrier a pris conscience de sa solitude. Il s’est retiré au fond de la grotte pour y retrouver sa source originelle. Mais en s’enfonçant ainsi au sein de la terre, il est devenu un autre homme. Son âme a subi d’intimes fissures. »
- 4 – Vénus : « Voilà qui va faire sortir l’ermite de son trou. »
- 5 - Le sagittaire : « Vénus transformée en ange ailé envoie des flèches vers le soleil. »
- 6 – le Chaos : « La bête de la Terre en lutte avec un monstre de flammes »
- 7 – Saturne : « Figurant un pendu par les pieds. Vous voilà la tête en bas. »
- 8 – Les Gémeaux : « vénus est devenue vote frère jumeau (les Gémeaux sont figurés attachés par le cou aux pieds de l’ange bisexué. Retenez bien cela !) Deux enfants se tiennent par la main devant un mur qui symbolise la Cité solaire. De laquelle les habitants ont accédé à la sexualité solaire qui est, plus qu’androgynique, circulaire. C’est le zénith de la perfection humaine. Il semble que vous soyez à vous élever jusque-là. »
- 9 – Le Capricorne : « La porte de sortie des âmes, autant dire la mort. »
- 10 – Jupiter : « Vous êtes sauvé ! Vous coulez à pic et le dieu du ciel vous vient en aide. Il s’incarne dans un enfant d’or, issu des entrailles de la Terre, qui vous rend les clefs de la cité solaire. »
Un dernier commentaire du capitaine : « Gardez-vous de la pureté. C’est le vitriol de l’âme. » La transition phonétique (« Jupiter/Terre ») marque la fin des commentaires du capitaine et le début du naufrage, c’est-à-dire l’entrée dans la vie de Robinson sous la forme d’une aventure personnelle.
NB : L’étude se réfère à l’édition Vendredi ou les Limbes du Pacifique (Folio, 1990) pour ce qui est des mentions de page. La mention L.B. employé dans le résumé fait référence à l’expression Log Book (Carnet de bord).
3. RÉSUMÉ DÉTAILLÉ
(par chapitre et par paragraphe)
Préambule
Sur le vaisseau La Virginie, au large des côtes chiliennes, le Capitaine Pieter Van Deyssel s’ingénie à prédire l’avenir à Robinson Crusoë à l’aide d’un jeu de tarots. A l’extérieur, une tempête fait rage, qui finit par provoquer le naufrage du navire.
Chapitre Premier
(p. 15) A demi conscient, Robinson rampe vers la plage et découvre La Virginie brisée sur une chaîne de récifs. Concernant sa situation, il hésite entre deux hypothèses : l’une, favorable, le situe sur Mas a Tierra, une île peuplée ; l’autre, pessimiste, lui fait envisager un îlot inconnu et désert. Il décide d’en avoir le cœur net et commence par s’enfoncer dans la forêt qui couvre le pied d’un promontoire volcanique au sommet duquel il pourra embrasser le paysage et confirmer ou non ses craintes. En chemin il rencontre un bouc sauvage qu’il tue poussé par la peur. Sorti du massif forestier, il découvre une grotte vaste et profonde. Puis, parvenu au sommet du piton, il comprend que ce ne peut être Mas a Tierra : il est donc sur un îlot inhabité. Peu avant la nuit, il se restaure d’une sorte d’ananas avant de s’endormir. (p. 23) Au réveil, il observe les lieux de son belvédère : seule la côte nord où gît La Virginie est abordable. Il revient sur la grève après s’être chargé du bouc dont il fait un premier repas. Superstitieux, il hésite à s’installer de peur que cela ne soit un signe de renoncement à quitter les lieux. Il prépare un éventuel bûcher pour avertir un éventuel navire de passage et néglige délibérément de compter les jours qui passent. Obsédé par l’océan, le fixant sans cesse, il finit par voir l’île comme un œil scrutant les profondeurs du ciel. Aussi craint-il de sombrer dans la folie et décide de passer de la contemplation à l’action et de construire une embarcation pour s’échapper de l’île. A cette fin, il aborde La Virgine pour se procurer les outils nécessaires à la réalisation de son projet. A bord, il découvre le cadavre du capitaine et constate que la cargaison renferme des tonneaux de poudre noire qu’il débarque sur l’îlot et s’approprie la Bible du Second. Puis il entreprend la construction de son embarcation qu’il baptise L’Évasion. (p.25)
Chapitre II
Précisément, il voit dans la lecture de la Bible et, notamment, du Déluge, une allusion à sa situation. La construction du bateau se fait empiriquement avec des moyens de fortune. Bientôt, sous une pluie diluvienne qui s’abat sur l’îlot, il passe successivement de la gaieté au pessimisme et au désespoir, invoquant même un signe de Dieu. C’est alors qu’un arc-en-ciel se dessine, qui marque la fin du déluge. Il retrouve Tenn, le chien du Commandant, qui semble redevenu sauvage. Il se demande soudain depuis combien de jours il est sur l’île et décide aussitôt de compter les jours qui passent. Mais il oublie bientôt sa résolution en se replongeant dans son travail de construction du cotre. (p.33) Deux crabes occupés l’un à faire tomber de l’arbre une noix de coco et l’autre à la scier le confortent dans l’idée que cette île lui est étrangère. Après avoir enduit l’Évasion d’une glu de son invention, il se décide à pousser le bateau jusqu’à la mer. Puis il en repousse l’exécution dans la crainte de le voir couler sitôt mis à l’eau. Mais le bateau reste trop lourd à tirer et les solutions envisagées (des rondins pour le faire rouler ou un chenal creusé depuis le rivage) se révèlent impossibles. Il renonce et sombre peu à peu dans une vie de souillure végétative, voire animale, que symbolise le marécage dans lequel, tel un pécari de l’île, il passe des heures à ressasser le passé de son enfance avec ses parents. (p.39) Jusqu’à ce que, un jour, il entende une musique : c’est un navire ! Il embrase l’eucalyptus prévu à cet effet pour attirer l’attention. En vain. Parmi les passagers, Robinson croit voir une jeune fille au visage familier. Il se jette à l’eau et nage vers le galion. Mais il finit par se rendre compte qu’il a été le jouet d’une hallucination. Il comprend que ce visage entrevu est celui de Lucy, sa jeune sœur, morte adolescente. Il décide alors de se détourner de la mer et s’enfonce vers le centre de l’île, bien décidé à en faire le cadre définitif de sa vie.
Chapitre III
(p.43) Il recense méthodiquement les ressources propres à l’île, transporte tout ce qu’il peut récupérer sur le bateau et fait de la grotte le dépôt, notamment des quarante tonneaux de poudre noire, des vêtements, des sacs de céréales, etc. Il commence un Journal en utilisant les feuilles effacées des livres trouvés sur La Virginie et le colorant rouge d’un poisson, le diodon, comme encre, sur lequel il écrit ses réflexions. Il a désormais la certitude de commencer « sa vraie vie dans l’île ». Il établit un calendrier, dresse une carte de l’île et débaptise son île de la Désolation au profit de Speranza. Il trie ses réserves de grains, brûle quelques acres de terre, laboure à l’aide d’une houe de sa fabrication et sème blé, orge et maïs. Il se livre aussi à l’élevage en constituant un troupeau de chèvres qu’il domestique. Mais le désespoir n’est jamais loin et l’envoie retrouver la souille des pécaris où l’attendent les souvenirs de son enfance et de Lucy. Ainsi s’opposent en lui le vice et la vertu. Pour mieux explorer le pourtour de l’île, il se lance dans la construction, à partir d’un tronc de pin, d’une pirogue légère munie de pagaies. Son journal note combien l’absence d’autrui désagrège le fondement même de son existence. Si le maïs dépérit assez vite, l’orge et le blé, en revanche, prospèrent et lui procurent une première moisson. (p.58) Il décide ensuite de ne point consommer sa récolte mais de la conserver. Log-Book Lutter contre le temps devient son obsession : le calendrier lui a permis de reprendre possession de lui-même ; désormais il doit produire, accumuler et non consommer. Il en arrive à faire l’éloge de l’argent, synonyme, à ses yeux, d’échanges et de solidarités. Dès lors, il ne cesse de travailler et de produire – y compris de la mélasse. Puis réapparaît Tenn, le chien de la Virginie. L-B Robinson lie cet événement à son nouveau « Moi » et à sa dignité humaine restaurée. (p.65) Il décide en conséquence de se construire une vraie maison à l’entrée de la grotte pour remplacer l’abri dont il se contentait jusqu’alors. Il fabrique également une clepsydre pour mesurer le temps. Il éprouve le sentiment de domestiquer l’île. L-B Robinson multiplie les projets (arpenter l’île/la cadastrer/recenser les espèces végétales et animales). Au cœur de cette effervescence, il prend toutefois conscience du délabrement de son langage – notamment du vocabulaire abstrait -, malgré ses efforts pour parler à haute voix, faute d’un interlocuteur. Puis il crée un Conservatoire des Poids et Mesures.
Chapitre IV
(p.71) Vient le 1000ème jour de son calendrier. Il entreprend alors de rédiger VIII articles de la Charte de l’Ile de Speranza et enchaîne avec IV articles du Code Pénal de l’Ile de Speranza. Puis, sortant de sa maison, il aperçoit une fumée s’élever de la baie du Salut vers laquelle, muni d’armes, il se dirige prudemment. Il y découvre une quarantaine d’indiens Araucan dont il pense qu’ils viennent du Chili. Il voit une sorte de sorcière entamer des incantations autour d’un feu avant de désigner un individu qui est aussitôt découpé en morceaux à la machette puis brûlé. Les indiens quittent alors l’île. Robinson ajoute deux articles à sa Charte après avoir fortifié sa demeure et piégé les alentours pour se protéger d’une éventuelle incursion des Araucans. (p.80) Il a l’immense joie de cuire son premier pain. Mais progressivement il se met à douter de ses sens. L-B (p.84) De son passé il tire la certitude que cette solitude de l’île qui l’attendait correspond bien à son destin. Il sent le vertige de la disparition le saisir. Par ailleurs, dans sa vie quotidienne, il doit protéger ses réserves des rats dont il s’aperçoit qu’ils appartiennent à deux espèces différentes : l’une constituée de rats noirs a été apportée par la Virginie ; l’autre peuplée de rats gris représente l’espèce indigène. Robinson organise une confrontation entre les deux espèces, qui tourne à l’avantage des rats gris. L-B. (p.87) Rejetant son apparence physique qu’il n’a jamais aimée, Robinson sent qu’il se métamorphose et s’efforçant à toujours plus de dépouillement de lui-même, il constate qu’il devient philosophe. Son miroir lui renvoie l’image d’un homme défiguré, déshumanisé, faute de contact avec autrui. Dès lors, il « voit » Tenn lui sourire, ce qui décrispe, enfin, son visage. (p.89) Un soir, il oublie de regarnir la clepsydre et éprouve, le lendemain, dans ce temps suspendu, la sensation d’une vacance éblouissante en lui et dans l’île, qui le renvoie à « l’innocence ». Désormais, il a recours à ce subterfuge pour tenter de hâter cette métamorphose qu’il sent poindre en lui. Mais, en vain pour l’instant, s’avoue-t-il. L.B. (p.95) Robinson en vient à philosopher sur la connaissance et découvre qu’il en existe deux formes : l’une « par autrui » ; l’autre « par soi-même ».
Chapitre V
(p.101) Lorsqu’il arrête la clepsydre pour mener « sa vie seconde », Robinson perçoit Speranza comme une personne et la grotte prend une signification nouvelle pour lui : est-elle la bouche, l’œil ou un orifice naturel ? Il décide donc de l’explorer dans ses profondeurs. Il s’efforce de s’accoutumer à l’obscurité, guettant dans ce qu’il nomme le ventre de Speranza l’instant où le soleil va brièvement illuminer la grotte. (p.105) Il explore le fond de la grotte et découvre un boyau vertical dans lequel, nu et enduit de lait, il se laisse glisser avant de déboucher dans une sorte de crypte étroite, aux parois irrégulières. Il y découvre une alvéole au cœur de laquelle il se love en position fœtale. A demi conscient, il songe à sa mère, femme sans émotion apparente mais solide, infaillible et rassurante, vra ie et accueillante. Au bord d’un abandon qu’il pressent mortel, il parvient à s’arracher à l’alvéole. Anéanti par cette expérience, il retrouve sa maison et remet en marche la clepsydre. L-B (p.110) Son séjour dans l’alvéole semble l’avoir rendu plus fort en ce qu’il peut désormais associer les images symboliques contrastées de la matrice et du sépulcre. Il traverse, toutefois, une phase d’inquiétude : les ressources de Speranza semblent s’épuiser. Il retourne à l’alvéole et jouit en son sein : il décide alors de ne plus s’y rendre, conscient d’avoir commis un sacrilège en souillant ce qui était innocence. Il se promet de ne plus s’y rendre que pour y mourir. (p.115) Retourné à ses activités, il forme le dessein démesuré de transformer en rizières les marécages de la côte orientale. L-B Robinson sent se creuser en lui un fossé irrémédiable entre ses activités de construction copiées de la société humaine et le chaos intérieur qui le transforme peu à peu. Il prend l’habitude de satisfaire ses désirs sexuels avec la fourche moussue d’un arbre jusqu’à ce qu’une piqûre d’araignée sur sa virilité ne l’en détourne.
Chapitre VI
(p.123) Ruisseau détourné, bassin de rétention, digues et vannes construites lui permettent de parachever son projet de rizière. Mais l’absurdité de ces travaux gigantesques – pour qui ? – le désespère. Allongé sur la terre d’une combe qu’il creuse de son sexe, il répand sa semence comme s’il avait fécondé Speranza qu’il perçoit alors comme une femme, la prairie vallonnée où il se trouve en figurant les lombes. L-B (p.127) Robinson réfléchit à l’alliance du sexe et de la mort et, à travers la Bible, identifie Speranza à une femme dans laquelle il dépose sa semence. Un jour, il découvre une plante nouvelle qui pousse dans la combe de ses amours et il en extrait une racine : c’est bien une mandragore, fruit de ses amours avec Speranza. C’est ainsi qu’un matin, il s’aperçoit même que sa barbe qui a poussé au cours de la nuit s’est enracinée dans la terre.
Chapitre VII
(p.139) Robinson se met à inscrire des devises morales sur les pierres, la terre et les bois de l’île. De nouveau, il est alerté par la vision d’un mince filet de fumée qui s’élève de la Baie du Salut. Il se réfugie d’abord dans sa forteresse ; puis, n’y tenant plus, il décide de se rendre sur place. Grâce à sa longue-vue, il observe que le sacrifice rituel a déjà eu lieu et assiste à la rébellion d’un autre indien désigné qui refuse de se laisser exécuter et, poursuivi, prend la fuite dans la direction de Robinson. Ce dernier veut l’abattre pour éviter d’être découvert, mais Tenn détourne le coup de feu qui abat l’un des poursuivants. Le fuyard rend grâce à son sauveur qui l’accueille dans sa maison. Robinson le plie à ses règles et retourne en sa compagnie jusqu’à l’Évasion avant de se rendre compte que les termites ont anéanti son bateau. L-B (p.146) L’Araucan, métis d’indien et de noir, semble âgé d’une quinzaine d’années. Robinson le nomme Vendredi, jour de leur rencontre. (p.148) Vendredi obéit à Robinson comme un esclave à son maître, y compris au moindre de ses caprices (par exemple cirer les galets du chemin principal). Pourtant il arrive à l’indien d’éclater d’un rire dévastateur et Robinson qui en mesure la portée critique sévit en le corrigeant. De son côté, Vendredi apporte à Robinson son ingéniosité (faire nettoyer les ordures par les fourmis/utilisation des bolas) L-B (p.153) Robinson estime que Vendredi doit le juger fou. Par ailleurs, il apprécie peu sa totale soumission et son indifférence envers lui. Une nuit, le désir le tenaille de retourner à la combe des mandragores
Chapitre VIII
(p.157) A son réveil, Vendredi constate l’arrêt de la clepsydre et l’absence du Gouverneur. Il s’empare du coffre à vêtements et à bijoux et le porte jusqu’au jardin des cactées créé par Robinson en souvenir de la passion de son père pour ces plantes. Vendredi vide le coffre de ses étoffes et bijoux pour en parer les cactus. Puis il se dirige vers la mer où il lance des galets que Tenn lui ramène. Il arrive à la rizière où Tenn s’envase. Pour le sauver, Vendredi ouvre les vannes, vide la rizière et détruit ainsi la future récolte. (p.162) De son côté, revenu à la résidence, Robinson constate l’absence de l’indien et attend deux jours pour partir à sa recherche en compagnie de Tenn. Cela lui est l’occasion d’entrer dans l’univers plein de fantaisie que Vendredi s’était aménagé près d’un marigot : arbres plantés à l’envers mais poursuivant leur croissance. Il finit par découvrir l’Araucan déguisé en arbre. De plus en plus préoccupé par le comportement de son compagnon qui semble rétif à l’ordre qu’il vise à instituer sur l’île, Robinson va retrouver, une nuit, ses mandragores dans la combe rose. Mais il découvre une nouvelle fleur blanche et rayée, qu’il n’avait pas recensée : serait-elle en rapport avec la présence de Vendredi sur l’île ? L-B : (p.167) Suite à la lecture de l’Ecclésiaste, Robinson s’interroge et en vient à se demander s’il a bien fait de soumettre Vendredi à l’ordre de Speranza au lieu de s’intéresser vraiment à ce qu’il est. (p.169) Il suit un jour Vendredi qu’il surprend en train de séparer une tortue de sa carapace dont il fait un bouclier parfait. L-B : (p.170) Robinson est surpris par la familiarité des rapports entre Vendredi et les bêtes et s’avise qu’en fait ce dernier ne leur montre aucun intérêt particulier, mais se comporte avec elles en une sorte de connivence purement animale et physique. (p.172) Comme pour démentir l’intuition de son maître, Vendredi lui montre sa compassion pour un petit vautour abandonné de sa mère qu’il réussit à sauver de la mort en le nourrissant de vers de décomposition qu’il mâche préalablement avant d’en déposer la bouillie obtenue dans son bec. Il n’empêche que Vendredi, aux yeux de Robinson, est une source préoccupante d’un désordre à terme dangereux pour l’île. Il en arrive alors à imaginer la mort de ce compagnon. Cette haine le conduit presque à l’irréparable quand il découvre Vendredi dans le vallon rose moussu copulant avec l’île : il frappe alors le profanateur jusqu’au sang. Puis il se réfugie dans la lecture de la Bible dont les extraits qu’il parcourt l’amènent à imaginer qu’aux trois ères de l’île administrée, de l’île mère et de l’île épouse va succéder une quatrième ère imprévisible. Il s’interroge aussi sur la vraie nature de Vendredi : et s’il y avait un autre personnage à découvrir sous le métis grossier et stupide ? (p.182) Un jour où Robinson s’est absenté pour inspecter les lignes de fond qu’il a posées à marée basse, Vendredi se réfugie dans la grotte pour fumer en cachette. Mais le retour de Robinson le pousse à se débarrasser au plus vite de la pipe en la jetant au fond de la grotte, ce qui provoque l’explosion des barils de poudre.
Chapitre IX
(p.185) La désolation est totale : la grotte, la Résidence, la forteresse et les autres bâtiments ont été détruits ; les chèvres se sont enfuies. Robinson essaie de récupérer ce qui peut l’être tandis que Vendredi s’amuse, à l’inverse, à détruire ce qu’il exhume du désastre. Ils découvrent que Tenn est mort dans l’explosion. Ainsi, pense Robinson, Vendredi a réussi à effacer cet ordre qui lui répugnait. Il a le pressentiment qu’une ère nouvelle semble se dessiner dont Vendredi serait l’initiateur. La nuit suivante, le cèdre géant, miné par l’explosion, s’abat à son tour. Robinson se retrouve dépourvu de tout, comme nu, avec Vendredi pour seul guide. (p.190) Robinson se rend compte que Vendredi ne vit que dans l’instant présent sans tenir compte du passé ni se soucier de l’avenir. Il considère qu’il est devenu une sorte de frère de son compagnon et ne se sent plus le maître ni le père de l’indien, qu’il était jusque-là. Désormais Robinson suit l’exemple de Vendredi et s’expose au soleil, s’intéresse à son propre corps, partage des jeux qu’il aurait naguère dédaignés et observe un Vendredi tout préoccupé à lancer des flèches qu’il voudrait ne jamais voir retomber ; ou encore à défier Andoar, le bouc le plus vigoureux de l’île avec qui il chute dans le vide à l’issue d’un combat singulier. Pour se porter au secours de l’indien, Robinson doit surmonter son vertige et escalader une paroi à mains nues. Il réussit et découvre que Vendredi est sain et sauf, le bouc ayant amorti l’impact de la chute. Vendredi tanne alors la peau d’Andoar dont il fait un cerf-volant. Puis il récupère le crâne, après l’avoir fait nettoyer par les fourmis, qui devient un instrument de musique orchestré par le vent tandis que le cerf-volant vibre au plus haut dans le ciel : Vendredi et Robinson communiquent ainsi avec les éléments. (p.209) Désormais sur un pied d’égalité, les anciens maître et serviteur peuvent connaître les disputes. Mais plutôt que d’en venir aux mains, ils s’approprient un jeu initié par Vendredi grâce auquel ce dernier substitue à Robinson un mannequin sur lequel il se venge. Robinson fait de même avec une effigie de Vendredi. Ils sont donc quatre – les deux hommes et leurs copies - à habiter l’île. Vendredi invente un autre jeu – nourri de leur passé – par lequel ils échangent leur ancien personnage et leur rang antérieur de maître à serviteur. Puis Robinson retrouve son log-book et décide d’en reprendre l’écriture pour témoigner de son évolution.
Chapitre X
(p.215) L-B Les réflexions de Robinson le montrent sensible à la fusion avec le soleil auquel il voue un véritable culte, fasciné par un Vendredi dont il souhaiterait la légèreté et l’insouciance. Il est par ailleurs heureux d’avoir supprimé sa notion antérieure du temps au profit d’une vie qui ne s’occupe que de l’instant présent : il a même l’impression de revivre sans cesse la même éternelle journée. Il admire de plus en plus son compagnon qui représente pour lui toute l’humanité, à la fois fils et père, frère et voisin, prochain et lointain. Se souvenant des propos du Capitaine Van Deyssel lors du jeu des tarots, il loue la « vénusté » de Vendredi, inscrite dans son nom même et fait le point sur sa sexualité.
Chapitre XI
(p.233) Un beau jour, Vendredi vient prévenir Robinson de la présence d’une voile blanche sur la mer. Parti accueillir ces arrivants, Robinson voit défiler toutes les étapes de sa vie sur l’île : l’Évasion, la souille, l’organisation de Speranza, la grotte, la combe, la venue de Vendredi, l’explosion et sa propre métamorphose solaire. Au contact des nouveaux venus il apprend, incrédule, que vingt-huit années se sont écoulées depuis son naufrage (1759/1787) et qu’il approche de la cinquantaine. Il observe les marins piller l’île d’un œil d’entomologiste étudiant des insectes. Le commandant du Whitebird confie à Robinson les détails de sa vie d’officier de la marine anglaise lors de la guerre d’indépendance jusqu’à sa conversion en officier de la marine marchande, avant d’inviter Robinson à un repas à bord de son navire. Vendredi, de son côté, continue son apprentissage de l’air en sautant de mat en mat, heureux comme un oiseau. Quant à Robinson, choqué par l’esprit matérialiste des marins et des officiers, il décide de rester à Speranza. Vingt-quatre plus tard, il regagne l’île en compagnie de Vendredi. (p.248) Au matin, le Whitebird a disparu. Mais Vendredi est introuvable. Robinson comprend que son compagnon a préféré monter à bord du navire : il est, de nouveau, seul sur Speranza. Robinson songe à se donner la mort après s’être dissimulé sous les rochers pour échapper aux vautours qui le guettent comme s’ils comprenaient son projet. C’est alors qu’il découvre, caché dans un boyau de pierres : Jan le mousse qui, las des brimades endurées sur le vaisseau, est venu se réfugier auprès de Robinson. Ce dernier le guide jusqu’au point le plus haut de l’île : le point blanc du Whitebird disparaît quand le soleil inonde Speranza de sa lumière. Robinson baptise alors Jan du nom de Jeudi, « jour de Jupiter et dimanche des enfants ».
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