1.1. La signification humaine et sociale du travail
1.2. Analyse de la notion de travail
1.3. La division du travail : avantages et inconvénients
1.4. Remèdes pour rendre le travail plus humain
1. LE TRAVAIL
1.1. La signification humaine et sociale du travail
Le travail est d’abord considéré comme une peine (1)’ : c’est une nécessité qui détruit la personnalité au lieu de l’épanouir. Pour le Grec ancien, le travail est dégradant. Pour Aristote, l’esclave est un instrument et, à ce titre, il est considéré comme le gouvernail d’un navire. Pour la tradition judeo-chrétienne, le travail est une expiation et la perte du Paradis s’accompagne d’une terre hostile : l’homme est contraint de travailler la terre parce que celle-ci lui est étrangère. Cette tradition insiste sur le côté pénible du travail. D’autre part, le travail comme moyen d’enrichissement est proscrit car il détourne l’homme de sa véritable destinée et l’attache en un lieu où il ne fait que passer. La doctrine de la prédestination va opérer une identification entre le travail et la vie religieuse. En effet, l’homme ne peut rester indifférent à l’égard de sa destinée. Or, ce qui peut montrer l’union avec Dieu, c’est la façon dont l’homme, par son travail, fait de la terre un miroir de Dieu sans jouir du produit de son travail. Mais la nature humaine est corrompue et travailler se transforme en épargne, en investissement de cette épargne dans de nouvelles entreprises et l’on passe ainsi de l’échoppe artisanale à la manufacture qui induit la concentration urbaine : la cité prend désormais le pas sur la terre.
A cette conception du travail comme fin en soi s'oppose la conception du travail comme moyen. Le développement de la technique fait que le travail va finir par se soustraire à la religion pour permettre la religion du travail. Le principe de Descartes et la Dialectique du Maître et de l'Esclave de Hegel posent d'une manière nouvelle le rapport de l'homme et de la nature. Jusqu'alors la nature faisait échec au travail de l'homme. Désormais c'est l'homme qui va faire échec à la nature et la transformer. Avec le socialisme, le travail devient l'expression même de l'homme. Il n'est plus vécu comme une déchéance mais bien plutôt comme une consécration. Par le travail, l'homme étend sa maîtrise sur les choses. Il refuse ce qui lui est donné pour réaliser ce qu'il projette, c'est-à-dire donner une figure humaine aux formes de la terre. L'homme n'a de cesse d'affirmer sa forme humaine en niant les forces hostiles et étrangères des choses.
1.2. Analyse de la notion de travail
L’effort qu’impose le travail se heurte à un double obstacle, à savoir un obstacle intérieur (le corps) et un obstacle extérieur (la matière). Cela représente un effort par lequel l’homme impose une forme à la matière pour la plier à ses intentions. Par ailleurs, cet effort représente une action conquérante où la nature est niée en tant que telle pour revêtir l’aspect d’une réalité humanisée (l’efficience du travail par l’usage de l’outil et de la technique se substitue à l’efficience plus ou moins reconnue des rites religieux). L’activité du travail se caractérise par la ruse dans la mesure où, obéissant aux lois de la nature, l’homme rend possible ce qui, en toute apparence, est impossible (Cf. les exemples de l’avion et du sous-marin).
L’activité du travail est une médiation entre l’homme et la nature. En effet, la puissance du travail est proportionnelle à l’emploi de l’outil et à la façon de s’en servir. Grâce au travail, l’homme restaure son équilibre dans le milieu en satisfaisant ses besoins. Par ailleurs, l’activité laborieuse développe la collaboration et permet l’échange. Je découvre, en effet, autrui comme un alter ego au moment où je nie la nature. L’hostilité à l’égard de la nature réclame la complicité d’autrui. Au plus bas degré, le travail est accompli en fonction de l’utilité. Mais, par la suite, le travail apparaît comme expression de soi-même – l’homme se reconnaissant dans son œuvre. Dès lors, il produit moins pour l’utilité immédiate que par goût d’humaniser la nature. L’homme s’humanise donc en humanisant la nature. Alors que l’animal ne produit que pour lui-même, l’homme tend à rendre son produit universel.
Enfin, le travail permet l'appropriation des choses par le sujet. Il les transforme pour faire de l'univers le miroir de sa propre humanité. Autrement dit, il travaille pour se reconnaître dans l'objet produit.
Au terme de cette analyse, on peut affirmer que le travail est une valeur et, avec Marx, qu'il existe une innocence du travail et que si l'aliénation apparaît dans le travail, ce n'est pas par le travail.
1.3. La division du travail : avantages et inconvénients
L’homo faber qui fabrique profite d’une tradition et de recettes empiriques. Aussi le travail humain suppose-t-il une société. C’est dans les limites de celle-ci que le travail se divise. Il l’est en fonction des aptitudes des individus et des tâches à réaliser. Il y a une division du travail professionnel qui donne naissance aux corporations. Cette division se fait selon des branches divergentes. Par exemple, l’industrie du bâtiment suppose le maçon, le charpentier, l’électricien, le plombier, etc. Ou bien une division en tranches successives. Par exemple, l’industrie du bois suppose le bucheron, le scieur, le menuisier, l’ébéniste, etc.
La division du travail professionnel s’explique selon Durkheim par la « condensation des sociétés ». La multiplication des travailleurs permet de varier leur service et, simultanément, de varier leur produit. C’est surtout le développement de la technique qui facilite la division du travail et, par conséquent, le passage de la manufacture à la fabrique grâce à la machine qui simplifie les gestes du travailleur. On assiste alors à une éviction progressive de l’homme qui, dans un premier temps, est remplacé comme opérateur avant d’être supprimé comme moteur. Cette éviction progressive de l’être humain dans sa personnalité est fonction d’une spécialisation qui renforce l’habileté du travailleur mais lui propose un travail purement routinier.
Il arrive que la division du travail se fasse selon le sexe (2) ou bien selon les castes (3). L’individu est alors soumis à des règles sociales qui empêchent son épanouissement par le travail. Cette division entraîne différents types d’aliénation. D’abord, une aliénation socio-historique dans la mesure où le travailleur n’est pas considéré comme un homme libre (par exemple, l’esclave grec ou le serf du Moyen-Age). Ensuite, l’aliénation provoquée par le machinisme : poussée à l’extrême la division du travail conduit au travail parcellaire. Comme le souligne Georges Friedmann, on assiste à un éclatement progressif des anciens métiers unitaires. En 1926, dans les usines Ford, 46 % des ouvriers avaient une formation professionnelle de moins d’un jour ; 36 % de moins d’un jour, et 6 %, seulement, de une à deux semaines. Au point de vue technique, le travail à la chaîne se caractérise par la mobilité des éléments. Au point de vue psychologique, l’ouvrier n’a qu’une vue limitée de l’ouvrage car son son travail est répétitif et parcellaire. Au point de vue sociologique, enfin, on peut remarquer que l’ouvrier est séparé de l’œuvre finale produite. Avec le machinisme, l’œuvre devient étrangère, ce qui fait que l’ouvrier ne connaît de son travail que son salaire. Et cela induit une conséquence dommageable : l’ouvrier a le sentiment d’appartenir aux lois du marché et découvre que l’entreprise qui l’emploie monnaie sa force de travail avec, comme corrollaire, la conscience d’être ignoré en tant qu’individu et de ne plus être indispensable. Aussi cherche-t-il à se retrouver hors de son lieu de travail. Ainsi que le remarque Georges Navel : « Il y a une tristesse ouvrière dont on ne se console que par la politique. » (4)
1.4. Remèdes pour rendre le travail plus humain
La question qui se pose est de savoir si l’on retrouve l’humanité dans le travail ou hors du travail. En fait, l’homme est un être qui travaille pour se réaliser : ce qu’il faut reconnaître, c’est que le travail n’est pas un effort récompensé par un salaire, mais qu’il constitue la substance même de la marchandise ou de l’œuvre ; c’est-à-dire qu’il fait passer la forme humaine dans le produit et que la valeur d’une œuvre est mesurée par le travail qu’elle demande. Bref, le travail vise toujours une valeur et il faut faire en sorte que ce but soit atteint. Autrement dit, il faut éliminer les travaux inutiles : « Le bagne, c’est casser des cailloux pour rien. » (Saint-Exupéry).
Par ailleurs, puisque le machinisme tend à désindividualiser le travail et à ne s’intéresser qu’à la quantité de travail, il convient de trouver un moyen qui permette aux travailleurs de retrouver le sens de la qualité. L’une des solutions est de rendre le sens de la responsabilité au travailleur de façon qu’il se sente partie prenante de la gestion de l’entreprise. Il faut, ensuite, redonner goût au travail en tenant compte des aptitudes de chacun et en donnant au travail un caractère valorisant par l’enthousiasme collectif comme le préconisait Malraux : « Il faut que l’usine devienne une cathédrale. » Enfin, l’ouvrier ne doit pas être confiné dans une tâche limitée, mais il est indispensable qu’il ait, à l’inverse, une perception totale de l’entreprise et qu’il connaisse l’enchaînement des différentes opérations pour arriver au produit fini et les débouchés visés.
2. TRAVAIL ET PROPRIÉTÉ
Le travail est une appropriation. Les chose qui sont d'abord étrangères et hostiles sont transformées en choses utiles et familières par une série de transformations qui rendent maîtres de la chose. Ainsi le but du travail est-il de nier l'hostilité de la nature pour en faire un auxiliaire. Par le travail, la nature cesse d'être un élément étranger pour devenir un autre moi-même. Mais maîtriser la nature, c'est en prendre possession : la nature travaillée devient l'œuvre de l'homme. Le rapport entre le travail et l'œuvre fait naître l'attachement et l'appartenance qui sont à l'origine du sentiment de propriété.
2.1. Les rapports du travail et de la propriété
Le travail est un mode d’être
Le travail est une expression et une manifestation de la nature humaine. Je ne puis être au monde sans être travailleur (Homo faber). Mais par le travail, je fais quelque chose, qu’il s’agisse d’une œuvre manuelle ou intellectuelle. Travailler, c’est donc faire. Ainsi en faisant je suis. Mais ce que je fais, est-ce l’image de ce que je suis ou bien est-ce ce qui me constitue ? A l’évidence, ce que je fais, c’est, d’abord, ce que j’ai - la terre que je travaille, je finis par la posséder. Par conséquent, le travail est une forme de mon être, la propriété est synonyme d’un avoir. Ainsi l’être qui travaille finit par s’attacher à ce qu’il fait et, une fois l’œuvre réalisée, s’attache à ce qu’il a.
La propriété suppose l’accumulation produite par le travailleur
Chaque homme produit au-delà de ce qu’il consomme et les matériaux obtenus se conservent au-delà du temps qu’exige leur reproduction, ce qui entraîne l’accumulation des richesses (machines, stocks, monnaie, etc.) et l’élaboration d’un capital. Le travail a donc pour conséquence la constitution d’un capital. Comme l’affirme Auguste Comte : « Le travail positif, c’est-à-dire notre action réelle et utile sur le monde extérieur constitue nécessairement la source initiale de toute richesse matérielle tant publique que privée. »
2.2. La propriété est-elle légitime ?
Il existe différentes formes de propriété : les sociologues montrent que l’évolution de la propriété est parallèle à celle du pouvoir politique : au niveau du clan, la propriété est indivise. Par la suite, la propriété est un privilège qui caractérise certaines personnalités, notamment pour ce qui est du pouvoir monarchiste. Puis la propriété s’est individualisée et universalisée avec l’apparition du pouvoir démocratique. Malgré tout, la propriété reste une manifestation de la vie privée et l’on peut se demander si son importance ne provient pas d’un désaccord entre l’individu et la société. Selon Hegel, le goût de la propriété a pour origine une désaffection de la vie publique : ainsi le citoyen grec du temps de Platon est-il libre dans la cité parce qu’il n’oppose pas sa vie privée à sa vie publique. Il est d’autant plus libre qu’il est mieux intégrée à la société. La liberté est l’expression d’ une relation harmonieuse entre l’individu et la cité. A l’inverse, c’est au moment où l’individu se retourne sur lui-même et se soucie de sa propre jouissance que naît le goût de la propriété. Dès lors, le souci de la richesse prend le pas sur celui de l’État. L’individu devient pour lui-même le centre de ses occupations. Ce qui explique que le Droit romain est un droit individualiste dans la mesure où il précise que le droit de propriété est le droit d’user et d’abuser. Le sujet peut ainsi disposer des choses qu’il possède. On retrouve cette idée dans le Code civil français : « Le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on ne fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements. »
Or, pareille conception n'entraîne-t-elle pas des abus ? Est-il juste qu'un homme riche laisse ses terres en friche quand une partie de l'humanité est sous-alimentée ? Est-il juste qu'un propriétaire laisse ses logements inoccupés lorsqu'il y a crise du logement et pénurie ? Se pose alors le problème social.
Travail et propriété introduisent une dialectique de l'être et de l'avoir. La propriété est un avoir qui exerce une fascination. Il y a un prestige des choses (objets de consommation). Aussi l'homme risque-t-il de s'engluer dans « les choses ». On parle souvent du sommeil des petites villes mais c'est plutôt le sommeil des choses. Si l'on n'est plus que ce que l'on a, on a tendance à s'engourdir dans la possession et l'être humain ne se dépasse plus. Aussi la propriété ne doit-elle pas être une fin en soi sinon elle marque la démission du sujet qui se perd dans son avoir. Au contraire, la propriété n'est qu'un moyen qui contribue au développement de la collectivité.
NOTES :
(1) L’étymologie du mot est à cet égard limpide ; Le mot « travail » a pour origine le mot latin « tripalium » qui désignait l’instrument à trois éléments qui servait à torturer les esclaves et par lequel on piquait les bœufs pour les faire avancer !
(2) On rappellera que dans certaines tribus dites « premières », l’homme est guerrier et la femme travaille.
(3) En Inde, avant l’indépendance de 1947, certaines castes considérées comme inférieures étaient traditionnellement cantonnées dans certaines activités et exclues d’autres.
(4) On notera, à ce propos, que les dernières enquêtes, en France, font état d’un désintérêt général croissant pour le travail et l’entreprise. On rappellera, aussi, le mot d’André Malraux à propos de la Guerre d’Espagne (1936-1939) : « C’étaient les grandes vacances de la vie. »
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