Le Sentiment

Intérêt
Le poète, célébrant le sentiment, s’exclamait : « Ah ! Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. » (Alfred de Musset) Mais quel est le point de vue du philosophe à propos de la valeur du sentiment ?



Table des matières

1. Description d'un sentiment


« Le sentiment est un thème affectif fixé sur un objet auquel il confère une couleur. » (Burloud)

La grâce n'est que la perception d'une aisance. Elle se manifeste par des lignes courbes, encore faut-il que ces lignes ne se ferment pas comme le cercle ou l'ellipse. Aussi est-elle toute entière dans le mouvement qui se poursuit. En elle, l'avenir se préfigure dans le présent. Cela explique que la grâce soit liée au rythme et à l'harmonie. L'un nous donne dans le temps ce que l'autre nous accorde dans l'espace. Et la grâce, c'est l'espace et le temps vécus dans une attente qui n'est pas décevante. Le sentiment du gracieux, c'est la valeur que nous conférons à une figure, à une démarche, à un ensemble, etc. avec lesquels nous sympathisons. Aussi le sentiment est-il une connivence avec les êtres et les choses.


2. Différences entre l'émotion et le sentiment


Les émotions sont déséquilibrantes par nature ; elles provoquent un déséquilibre. Comme le remarque Pradines, ce que nous appelons émotions n'est jamais qu'une espèce de crise de quelque sentiment. Par exemple, une émotion de joie n'est que la forme explosive d'un sentiment de joie. Autrement dit, la différence entre sentiment et émotion consisterait dans le retentissement affectif, aigu ou léger, que provoque un événement. Ainsi la mort d'un être cher entraîne, selon le cas, une émotion douloureuse ou un sentiment de tristesse.

Pourtant, n'y a-t-il qu'une différence de degré ? N'est-on pas plutôt en présence de deux manières différentes d'appréhender le monde ?

On observe, d'abord, que l'émotion est passagère alors que le sentiment est durable. Si la colère est momentanée, la haine ne s'éteint souvent qu'avec la vie. Par ailleurs, l'émotion engendre un trouble qui rend le sujet affectivement surmené quand le sentiment facilite et justifie sa conduite : « Il est le régulateur de l'âme », selon Pierre Janet.

De plus, l'intensité de l'émotion qui se manifeste par des modifications organiques est radicalement distincte de la profondeur du sentiment qui ne modifie pas les rythmes vitaux.

Enfin, on constate que les rapports entre le sentiment et l’émotion ne sont pas toujours linéaires : le sentiment n’accompagne pas toujours l’émotion, par exemple lorsque l’on éprouve le sentiment – in-émotif – de l’ennui  qui dépouille les êtres et les choses de toute valeur. L’ennui est un sentiment qui uniformise tout et rend le sujet indifférent. Le comportement de celui qui s’ennuie se caractérise, en effet, par l’étirement et le bâillement qui sont deux signes avant-coureurs du sommeil. Il faut, toutefois, noter que ces deux manifestations corporelles s’opposent au sommeil en ce sens qu’elles facilitent la circulation sanguine dans le cerveau et sont donc propices à maintenir le sujet en état d’éveil. On peut ajouter que l’indifférence apparente masque le besoin de parader : celui qui s’ennuie traîne la semelle ou pose un regard languissant sur toute chose. Bref, il est difficile d’apprécier l’authenticité de ce sentiment dans la mesure où l’on ne sait quelle est la part de vérité et de comédie. Lorsque Chateaubriand confie « Je bâille ma vie. », l’on est en droit de se demander s’il fait référence au seul thème biblique de L’Ecclésiaste (« Tout est vanité /J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil ; et voici tout est vanité et poursuite de vent. » / « Vanitas vanitatum, omnia vanitasVanité des vanités et tout est vanité ») ou s’il ne se fonde pas sur la parade romantique exaltant le sentiment que l’on a manqué pour toujours la seule chose que l’on désirât vraiment.


3. Les caractères généraux des sentiments


Entre la pensée qui prévoit et la passion qui nous lie au passé, le sentiment nous rattache à la réalité présente. Ainsi, je ressens l'amertume du monde lorsque mon amour-propre est blessé ou, de même, j'éprouve la monotonie du monde quand les éléments qui le composent me deviennent plus ou moins indifférents.

Le premier caractère du sentiment est donc d'être intentionnel. L 'amour ou la haine vise une réalité aimable ou détestable ; mais, simultanément, elles désignent la façon dont le sujet est affecté. Le sentiment est donc, à la fois, intention et affection.

En second lieu, on observe que le caractère intentionnel du sentiment interdit toute passivité puisque l'on entretient et développe, par exemple, l'amour ou la haine par des attentions et des conduites répétées. Au début, un sentiment est précaire et instable car lié à des tendances qui n'ont pas d'objet précis. Il devient durable lorsque la tendance a élu un objet.

On constate, enfin, que le sentiment est une réaction à une situation donnée et il tend à régler notre conduite en conformité avec cette situation. Il aide donc à nous intégrer à une situation vécue. Ainsi le sentiment de la nature nous fait-il éprouver la mélancolie des feuilles mortes, la sérénité des soirs d'été ou encore le mystère des profondes forêts.


4. La valeur des sentiments


Le sentiment est lié à la fonction du réel. Un objet a d'autant plus d'importance qu'il provoque un retentissement au niveau de l'affectivité. En effet, ce qui nous est indifférent finit, à la limite, par ne plus exister. En revanche, existe pour nous ce qui éveille et stimule notre activité et, surtout, notre affectivité. L'objet qui a une connexion intime avec notre vie ne fait pas de doute pour nous. Autrement dit, tout sentiment est sentiment du réel. Si nous pouvions concevoir une intelligence sans affectivité, cette intelligence serait la fonction du possible et non du réel.

Il convient toutefois de remarquer que la raison par elle-même ne peut donner de la valeur aux choses. Aussi faut-il le sentiment pour sauver l’esprit de la sécheresse. Si les opérations intellectuelles sont étrangères au sentiment, elles sont gratuites – le sujet ne se sent pas impliqué comme c’est le cas dans un raisonnement formel. En fait, c’est le sentiment qui permet de dire que la vie vaut la peine d’être vécue. Comme le précise Jean-Jacques Rousseau : « Le sentiment de l’existence dépouillé de toute autre affection est par lui-même un sentiment précieux de contentement et de paix, qui suffirait seul à rendre cette existence chère et douce à qui aurait écarté de soi toutes les impressions sensuelles et terrestres qui viennent sans cesse nous en distraire et en troubler ici-bas la douceur. » L’intelligence, à l’inverse, est neutre par elle-même ; elle ne s’enthousiasme pas. Ce sont les sentiments qui font l’enthousiaste comme ce sont les passions qui font les fanatiques. La force d’une religion, d’une politique, d’une révolution n’est pas tant dans la raison que dans l’affectivité. Le prêtre, l’orateur ou le tribun s’adressent au cœur mais rarement aux esprits. Le Sacré Coeur, la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité », le drapeau rouge ou la fleur de lys sont des signes affectifs et non intellectuels. Autrement dit, le sentiment donne du prix à une manière d’être. On peut, dès lors, dire qu’il confère de la valeur comme la représentation détecte le vrai.

Par ailleurs, le sentiment permet la fidélité. Un sentiment tend, en effet, à devenir durable et donne ainsi une certaine consistance à l’affectivité. Le sentiment fixe, en quelque sorte, le sujet à un objet et lui permet d’échapper au flux continuel de ses affections qui passent et se modifient. La fidélité, qui est l’essence du sentiment altruiste, sauve souvent un choix médiocre pour en faire une œuvre d’art comme cela peut se trouver dans le sentiment amoureux d’une liaison durable. Aussi le sentiment est-il premier sinon en droit, du moins en fait. Il donne l’énergie à une action intellectuelle ou manuelle. Comme le remarque La Rochefoucauld : « On ne souhaite jamais ardemment ce qu’on ne souhaite que par raison. »




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Droits d'auteur © Sophie LAUZON



 
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Contenu sous droits d'auteur — Dernière mise-à-jour : 2015-04-12 10:48:14




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