1. Introduction
« J’affirme avec Breuer ceci : toutes les fois que nous nous trouvons en présence d’un symptôme, nous devons conclure à l’existence chez le malade de certains processus inconscients qui contiennent précisément le sens de ce symptôme. » (Freud)
L’apparaître n’est-il pas un masque qui dissimule ? Dans la société, le sujet peut avoir un paraître extrêmement séduisant, par exemple lorsqu’il fait preuve de générosité. Mais cette apparence n’est-elle pas motivée par un esprit calculateur ? L’attitude consciente est parfois une façon de tromper. Tout sujet répugne à se connaître et tend à rejeter l’explication qui le rabaisse et refoule certains besoins ; tout comme il refuse de s’avouer certains ressentiments. Ainsi que le précise La Rochefoucauld : « L’amour-propre est souvent invisible à lui-même ; il nourrit sans le savoir un grand nombre d’affections et de haines et il en forme de si monstrueuses que lorsqu’il les a mises à jour, il les méconnaît et ne peut se résoudre à les avouer. »
La conscience ne serait-elle pas alors une œuvre de justification et de dissimulation ? Par ailleurs, la conduite humaine n’est pas strictement mesurée par la conscience. Le sujet, à l’état de veille, n’est pas toujours conscient de ce qu’il doit et de ce qu’il fait. La conduite en tant que réponse à une situation vécue exprime un passé conservé généralement par le corps mais oublié au niveau de la conscience. Ainsi la conduite habituelle est-elle souvent irréfléchie.
2. Inconscience et passé
Le problème de l’inconscient est inséparable d’une réflexion sur le temps vécu. La réalité humaine est une réalité historique et le temps, qu’il soit vécu aisément ou difficilement, est constitutif ou destructeur. L’être humain ne se réduit pas au présent ; sa conduite n’est pas une nouveauté dans la mesure où elle est en continuité avec ses actes passés. Elle en est la répétition ou une expression améliorée. Le présent s’appuie bien sur le passé et le projet lui-même n’est pas sans profiter de l’histoire achevée. Bergson le formule clairement : « L’homme appelé sans cesse à s’appuyer sur la totalité de son passé pour peser d’autant plus puissamment sur l’avenir est la grande réussite de la vie. »
Cependant, ce passé constituant n’est pas nécessairement l’objet de la mémoire. En droit, tout le passé est susceptible d’être remémoré ; mais, en fait, une part de ce passé tombe dans l’oubli et semble devoir totalement échapper à la conscience. Ainsi l’habitude – une manière de vivre - est une façon de subir le poids du passé sans qu’il ne soit reconnu. Toute habitude représente le pouvoir actuel de l’oublié et le comportement habituel est d’autant plus efficace que le souvenir de son apprentissage s’estompe. Bref, l’habitude qui fonde la répétition exprime un passé aboli comme représentation et qui subsiste comme pouvoir. L’habitude met donc en défaut le principe de la transparence de la conscience sur elle-même et nous montre qu’il existe une matière de la pensée qui n’est plus accessible à la conscience de soi.
3. Psychisme et inconscient
Depuis Descartes, la conscience est supposée être coextensive à l’âme. La réalité psychique, c’est la conscience. Ainsi, lorsque le sujet pense, ce n’est pas quelque chose qui pense en lui ni sans lui. Comme le précise Descartes : « Par le mot de pensée, j’entends ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-même ». Autrement dit, la pensée est transparente en elle-même et les pensées émises et comprises ne le sont point « sinon par l’unique sujet, le Je. » Le « Je » du « Je pense », ce n’est pas un autre, c’est lui-même. Dans ce cas, l’inconscient et ses prétendus effets comme le rêve, comme les tics, l’angoisse et le sentiment de culpabilité doivent être renvoyés au mécanisme corporel. Dans cette même perspective cartésienne, Alain affirme que tout ce qui n’est point pensée est mécanisme ou corps. Il ajoute que l’inconscient ne saurait avoir ni recevoir un quelconque statut psychique.
La distinction radicale entre la pensée et le corps, c’est-à-dire entre la spontanéité mentale et le mécanisme corporel conduit à concevoir l’autonomie de la conscience. Cette dernière n’aurait pas de passion, c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de passion de l’âme au sens où une passivité quelconque pourrait se glisser dans le flux de la conscience. Or, comme le souligne Paul Ricoeur, c’est une chose de refuser toute pensée à l’inconscient, c’en est une autre que de refuser « à la pensée ce fond obscur et cette spontanéité cachée à elle-même qui mettent en échec son effort pour se rendre transparent à elle-même. Nous voyons, au contraire, que la conscience ne réfléchit que la forme de ses pensées actuelles. Elle ne pénètre jamais parfaitement une certaine matière principalement affective […] L’inconscient, certes, ne pense point mais il est la matière indéfinie que comporte toute pensée. » Pourtant Alain affirme : « Je veux ce que je pense et rien de plus. » Ce qui conduit à concevoir l’involontaire comme une manifestation corporelle.
Cependant, peut-on réduire le rêve, le lapsus ou bien l’oubli à de simples mécanismes corporels ?
Pour Sigmund Freud, cette réduction procède d’une conception étroite du psychisme qui réduit celui-ci à la seule conscience. Or, le psychisme n’est pas identique à la conscience. Pour Freud, la conscience ne constitue pas l’essence du psychisme, elle n’en est qu’une qualité et une qualité inconstante, d’ailleurs plus souvent absente que présente.
Ne faudrait-il pas, dès lors, ne pas se situer au niveau de la conscience ? En effet, nous prenons le risque d’être victime de la fonction dissimulatrice et justificatrice de la conscience. Et nous nous masquons ainsi l’intelligence du problème tel qu’il se pose.
Aussi doit-on aller de la conscience à la conduite et interroger cette dernière qui traduit, chez un sujet, la manière d’être adapté à ses besoins, au monde extérieur, aux obligations morales, enfin. La conduite tend à réaliser l’équilibre entre le sujet et le milieu ambiant. Or, si cet équilibre est rompu par un besoin exacerbé et non satisfait (par exemple, le besoin de tendresse), le sujet cherche à le satisfaire en dépit des circonstances extérieures et du frein moral (le besoin de tendresse frustré provoque souvent la kleptomanie). Le sujet conscient ignore l’origine de ce besoin, sa signification ; mais il ressent malgré tout un déséquilibre. Ceci conduit Freud à concevoir un appareil psychique composé de trois régions et non réduit à l’unité de la conscience. Il distingue une région (« le ça ») où s’enracinent les pulsions (les besoins qui s’imposent au sujet) : une autre (« le moi ») qui est la fonction d’adaptation au réel ; une troisième, enfin, (« le sur-moi ») qui est la région des principes moraux et freine la satisfaction des besoins. Freud précise bien que le « ça » et le « sur-moi » sont inconscients.
4. Conduite apparente et signification cachée
C’est un état de tension qui est à l’origine de toute conduite. Celle-ci tend à restaurer l’équilibre du sujet dans le milieu environnant en réduisant la tension, source de désadaptation momentanée. Cette réduction qui instaure l’harmonie entre le sujet et le milieu se fait en évitant le désagrément et, parfois, en procurant du plaisir. Par ailleurs, la conduite est aussi le résultat de la conjonction, de la motivation et de l’excitation. La conduite peut, aussi, connaître l’échec : par exemple, l’oubli est un phénomène apparemment dépourvu de sens et opéré involontairement.
Or, pour Freud, cette conduite est révélatrice d’un sens que le sujet ignore et dont l’intelligibilité est masquée aussi longtemps que l’on en reste au seul niveau du témoignage de la conduite individuelle. Par contre, elle apparaît si l’on ne se place plus au niveau des intentions du sujet mais si l’on traite ces manifestations comme des objets et si on les aborde d’un point de vue causal. Selon Freud, la conduite est faite de signes qui renvoient à un sens caché. La méthode consiste à faire l’inventaire de ces signes et à trouver, par interprétation, la cause cachée. Cette dernière, préalablement refoulée par le sujet, est dévoilée lorsqu’on établit le sens de la conduite d’échec. Ce dévoilement réintègre l’inconscient dans le champ de la conscience. La cure psychanalytique amène, en effet, à constituer un souvenir de ce qui s’était formé dans le passé, mais oublié et qui opprimait la conscience.
C’est pourquoi, ainsi que le souligne Paul Ricoeur : « Loin que la psychanalyse soit une négation de la conscience, elle est, au contraire, un moyen d’étendre le champ de conscience d’une volonté possible par dissolution des contractures affectives ; elle guérit par une victoire de la mémoire sur l’inconscient. »
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