Conscience et attention

Intérêt
Quels rapports entretiennent la conscience et l’attention ? Les mécanismes qui permettent d’accéder à la conscience peuvent-ils opérer indépendamment de ceux de l’attention ? Suffit-il de prêter attention pour prendre conscience ?


Table des matières

1. Description de l’attention


« L’art de faire attention, qui est le grand art, suppose l’art de ne pas faire attention, qui est l’art royal. » (Alain)


Si le langage distingue les verbes « voir » et « regarder », ainsi que les verbes « entendre » et « écouter », c’est qu’il met en évidence deux aspects de la perception. En effet, lorsque « je vois », je reçois les qualités d’un objet : elles surgissent et s’imposent. De même, j’entends des pas dans la nuit. Ces sons m’occupent et me tirent hors de moi. Mais lorsque je regarde ou écoute, je fais un travail d’extraction qui détache certaines qualités d’un fond indifférencié.

L’attention est donc liée à la réceptivité ; mais elle est également l’aspect actif de la perception. Autrement dit, dans l’attention apparaissent une activité et une passivité qui s’articulent sans que l’une mette fin à l’autre. Dans ce cas, on peut parler de la priorité du monde à l’égard de la conscience. Le monde n’est pas un donné pur que la conscience ne ferait que recevoir. S’il en était ainsi l’attention se réduirait aux impressions les plus intenses, lesquelles feraient remarquer les objets préexistants que la distraction méconnaîtrait. Dès lors, être attentif ne serait qu’être fasciné. Il est à remarquer que l’expérience empiriste n’explique pas comment une simple perception éveille l’attention ni comment l’attention enrichit et approfondit cette simple perception.

D’autre part, on ne peut parler de la priorité de la conscience à l’égard du monde. La conscience n’est qu’une simple activité qui démêlerait le clair du confus. Or, c’est ce que nous remarquons dans l’ « Analyse du morceau de cire » par Descartes (Méditations, II). La cire qu’évoque Descartes est, d’emblée, quelque chose « d’étendue, de flexible et de muable. » Mais je n’ai, de ce quelque chose, qu’une « connaissance imparfaite et confuse, ou bien claire ou distincte, selon que mon attention se porte plus ou moins aux choses qui sont en elle. » Autrement dit, pour l’intellectualiste, l’attention permet un éclaircissement de l’objet et cet éclaircissement est effectif lorsque la conscience revient à elle-même. Ainsi, de la considération d’une assiette, l’intellectualiste dégage le cercle mais on peut dire que la conscience rend clair ce qu’elle apporte.

Bref, chez l’empiriste, on assiste à une atténuation du sujet conscient qui rend impossible la compréhension du travail de l’attention. Alors que, chez l’intellectualiste, on assiste à une évacuation du monde extérieur qui a pour conséquence que la pensée est attentive à ses contenus sans comprendre qu’elle puisse être attentive à autre chose qu’elle-même.

Comme le note Merleau-Ponty : « Que l’attention obtienne ce qu’elle cherche par un miracle renouvelé (empirisme) ou qu’elle le possède d’avance (intellectualisme), la constitution de l’objet est passée sous silence. »


2. L’objet de l’attention et le sujet attentif


L’attention fait que l’objet se détache sur un fond. Il acquiert un relief et une clarté qui ne sont pas des qualités parmi d’autres, mais des caractères de son apparaître. L’attention accentue les contours et les détails de l’objet sans le constituer totalement. Cet aspect actif de l’attention est lié au temps. En effet, le rapport entre l’objet et le fond n’est pas figé. La conscience attentive ne cesse d’extraire un nouvel objet en ce sens qu’elle passe d’un objet à un autre, ou bien, à propos d’un même objet, elle souligne certains détails ou en néglige d’autres. Comme le résume excellemment Paul Ricoeur « L’attention est ce mouvement du regard qui, en se déplaçant, change le mode d’apparaître des objets et de leur aspect. »

L’objet le plus insignifiant ne m’est jamais donné intégralement ; je ne le saisis qu’à travers des profils et il me sollicite par ses multiples apparences. Mais il demeure inépuisable. Bien que je puisse le parcourir du regard, il échappe partiellement à ma conscience. Autrement dit, c’est un donné qui ne cesse de se dérober à tel point que l’attente du sujet attentif est partiellement décevante. D’autre part, cette « donation » (ou manière d’apparition de l’objet) imparfaite provoque l’intervention active du sujet. Ce dernier a tendance à projeter des schémas anticipant qu’il veut remplir par l’objet rencontré (par exemple, dans l’observation microscopique). Il veut retrouver dans l’objet ce qu’il sait déjà. Dès lors, l’intervention active du sujet ne cesse de manquer ce qu’elle vise puisqu’elle est moins attention au réel qu’au savoir préexistant. Ce qui fait l’attention dans sa pureté, c’est moins l’apparaître donné de l’objet et l’activité constituante du sujet que cet intermédiaire qu’est le regard que n’oriente aucune pré-perception (cf. Paul Ricoeur : « Le vrai nom de l’attention, ce n’est pas anticipation mais étonnement. ») Le sujet attentif n’est pas un sujet « prévenu et précipité » (cf. Discours de la Méthode, Descartes) ; c’est un sujet patient et occupé où la plus haute réceptivité est liée à la plus haute activité en une attitude d’accueil.


3. Attention et intérêt


Selon Ribot, l’homme, comme l’animal, ne prête spontanément son attention qu’à ce qui l’intéresse. L’éveil de l’intérêt provoqué par une présence perçue alerte alors la conscience. Celle-ci semble se mettre au service de l’intérêt qui oriente l’activité de l’organisme. Dans ce cas, l’intérêt gouverne les attitudes du sujet ; il éveille l’énergie affective et la mobilise en vue de la fin à atteindre. L’attention prise au niveau des exigences vitales débute par l’intérêt. L’utilité précède le désintéressement et la conscience est attentive aux données pratiques qui représentent un problème vital à résoudre. Aussi l’attention à la vie est-elle l’attitude première. Il y a le souci de se préserver, de subsister, de s’épanouir enfin au sein des choses matérielles et autres.

Cependant si l’intérêt joue un rôle important, il ne convient pas d’en faire le facteur spécifique de l’attention. La loi de l’intérêt est la loi générale de la vie. Elle n’est pas la loi particulière de l’attention. En effet, comme le souligne Pradines, on peut lui reprocher de ramener à l’affectivité une activité de la pensée. Par ailleurs, l’affectivité est différente de la tension du sujet qui cherche à préciser de mieux en mieux ce qu’il vit et, dans ce cas, l’intérêt est moins ce qui provoque l’attention que ce que celle-ci dégage et pose comme tel. Par exemple, c’est moins le plaisir qui déclenche l’attention que l’attention qui enrichit le plaisir. D’autre part, l’expérience nous montre que le sujet n’est pas simultanément attentif à l’objet : la conscience attentive serait alors liée à une focalisation qui pousse le sujet à détacher du monde une zone claire et à rejeter le reste dans l’ombre. Pourtant, il ne semble pas que l’attention puisse se réduire à une focalisation. Il existe, en effet, une attention marginale : nous sommes souvent attentifs en quelque sorte du coin de l’œil. De plus, l’attention ne porte pas, le plus souvent, sur un détail mais sur un ensemble, par exemple lorsque l’on regarde un tableau. Aussi l’attention n’est-elle pas une focalisation dans l’espace, mais une orientation dans le temps. En effet, l’œil fixe ne voit rien ; il est perdu comme c’est le cas dans la rêverie. Etre attentif, c’est parcourir du regard ; c’est explorer de la main ; c’est mettre ses sens en mouvement pour connaître les différents aspects d’un objet.


4. L’attention : attitude corporelle ou intellectuelle ?


Ribot réduit l’attention à une adaptation motrice du corps ; ce qui fait l’attention, selon lui, c’est le comportement tendu vers l’objet qui provoque l’intérêt. Dans ce cas, les signes qui signalent le sujet attentif sont en même temps les éléments constitutifs de l’attention. Celle-ci n’est rien d’autre qu’une posture inclinée et ramassée, ou encore qu’une mimique qui exprime la concentration. Cette posture et cette mimique s’accompagnent de modifications physiologiques d’ordre respiratoire. Il faut bien remarquer que la conception de Ribot fait l’économie de l’attention. Ribot affirme, en effet, que si les mouvements sont arrêtés, l’attention disparaît. Or, que voyons-nous ? Le comportement semble aider l’attention : par exemple, l’attention visuelle semble aidée par le froncement de sourcils ; de même, le tracé d’une carte suivi du doigt facilite l’attention.

Toutefois si le comportement accompagne, à l’évidence, l’attention, on ne peut pas dire qu’il le constitue. Piéron remarque précisément que des paralysies – à condition qu’elles ne soient pas d’origine cérébrale - ne diminuent pas la capacité de l’efficience mentale. Ainsi, ce n’est pas la fixité du regard qui provoque l’attention mais la conscience attentive qui provoque l’attention. Si l’on observe « Le Penseur » de Rodin, l’ambiguïté est totale : est-il authentiquement attentif ou joue-t-il la comédie de l’attention ?

La conscience attentive apparaît dans un comportement par lequel elle fait s’exprimer une attitude dont elle s’attribue l’initiative. Autrement dit, « Cette manière d’être de la conscience attentive, c’est la marque d’une intériorité impuissante à se saisir autrement que comme une extériorité » (Paliard). Bergson fait reproche à Ribot de ne définir l’attention que par une attitude du corps. Pour lui, le besoin ne suffit pas pour faire apparaître l’attention. Si l’intérêt facilite l’attention, il n’en est pas la condition suffisante. Il peut rendre compte de l’attention spontanée, mais n’explique pas l’attention volontaire. Selon Bergson, l’attention est moins une adaptation du corps qu’une adaptation de l’esprit à une situation choisie.

Faire attention, c’est d’abord élire l’objet ; c’est, ensuite, l’extraire comme une figure sur le fond ; c’est, enfin, le parcourir du regard ou de la main. Ce parcours représente les mouvements de l’attention par lesquels nous passons et repassons sur les contours de l’objet. Ces mouvements impliquent une liaison de la perception et du souvenir.

La manière d’être de l’objet explique les différents types d’attention. Tout d’abord, l’attention est liée à une attente ; l’objet est absent et la conscience attentive est un présent tourné vers le futur. Lorsque l’objet est présent, l’attention est une observation où la perception est informée par les souvenirs. L’attention peut-être tournée vers le sujet ; dans ce cas apparaît l’introspection qui est l’attention de la vie intérieure.


5. Conclusion


En conclusion, il apparaît que l’attention est un moment de la vie de la conscience. Elle s’intercale entre les hésitations de la conscience qui fait que celle-ci ne se fixe sur aucun objet. Le choix – c’est-à-dire l’attention qui s’arrête – élit un objet. Par ailleurs, la naïveté semble être une condition essentielle de l’attention : celui qui croit savoir n’est pas attentif. Dire « Je sais » est une manière de laisser choir les problèmes : quand on sait, on n’a rien à attendre.



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Droits d'auteur © Sophie LAUZON



 
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Contenu sous droits d'auteur — Dernière mise-à-jour : 2017-02-17 13:43:11




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