La Planète des Singes de Schaffner

Intérêt
Passionnant film d’anticipation, La Planète des singes fait partie de ces œuvres du cinéma hollywoodien qui allient spectacle captivant et réflexion aiguë sur la nature humaine.


Table des matières

1. Analyse

Pour évoquer brièvement - on ne répètera jamais assez qu’il s’agit de deux arts différents - le roman de Pierre Boulle [1] qui servit de support au film de Schaffner on observera, d’abord, que les personnages français du roman sont devenus américains et que la fin du film substitue New York au Paris de l’œuvre littéraire. De même, la planète « Soror » du roman n’est pas la planète « Terre » du film. Par ailleurs, le personnage d’Ulysse est très différent d’une œuvre à l’autre. Le réalisateur américain a transposé sur Ulysse (appelé Taylor dans le film) les traits de caractère du professeur Antelle tel qu’il est décrit dans le roman par le journaliste Ulysse Mérou, c’est-à-dire un homme plutôt misanthrope, qui méprise les hommes et pense que la vie n’a aucun sens. Taylor s’est porté volontaire pour la mission en espérant trouver mieux que l’être humain. Il y a ajouté un caractère agressif qui transparaît dès les premières minutes du film dans sa mise en question de l’ego de l’être humain eu égard aux espaces infinis et dans son altercation, dès l’atterrissage, avec son confrère.

En outre, le Dr. Zaius du film, contrairement à celui du roman, connaît la vérité sur l’histoire de la planète, comme le laisse comprendre cet échange final à l’adresse de Taylor : « Toute ma vie, j’ai attendu ton arrivée et l’ai redoutée, comme la mort elle-même. (…) Tu as raison. J’ai toujours su pour l’homme. (…) La zone interdite était autrefois un paradis. Ta race en a fait un désert, il y a très longtemps. » Sa dernière phrase en forme d’avertissement annonce même la découverte de Taylor : « Tu risques de ne pas aimer ce que tu trouveras. » Il précise à Zira qui lui demande ce que Taylor va découvrir : « Il va trouver sa destinée. »

Enfin, les deux dénouements proposés par Pierre Boulle et Schaffner sont tous deux stimulants – encore que celui imaginé par Pierre Boulle soit à double rebondissement.

S’il est une évidente signification du film, elle tient tout entière dans la figure de la boucle. Une boucle qui relie le début et la fin du film. C’est, en effet, une boucle spatiale et temporelle, trois fois répétée, qui dessine une sorte d’éternel retour à l’intérieur du film.

Les paysages désolés de la « Zone Interdite » que parcourent Taylor, Nova, Zira, Cornélius et Julius à la fin du film, ramènent à ceux, désertiques, que survole le vaisseau avant sa chute dans le lac, dessinant ainsi un va-et-vient symbolique que la fin du film justifiera. Les deux décors ouvrent et ferment le film en un écho douloureux et significatif. Le déroulement du récit, pour l’essentiel, est inclus dans la zone verdoyante, à l’intérieur de la boucle.

D'autre part, l’atterrissage initial du vaisseau des astronautes sur la Planète des singes les renvoie finalement au lieu même d’où ils sont partis, la Terre. Leur voyage de dix-huit mois dans l’espace – soit deux mille années terrestres – dessine la boucle du retour au point de départ. L’image du vaisseau qui s’enfonce dans l’eau annonce celle de la Statue de la Liberté enfouie dans le sable. On notera le même dessin acéré de la pointe de la fusée auquel répond l'aigu du casque de la statue.

Enfin, les interrogations pessimistes sur l’être humain qui étaient celles de Taylor, dans la solitude de la fusée, à l’entame du film, trouvent leur illustration visuelle tragique dans cet ultime plan, en contre-plongée, de la Statue de la Liberté comme foudroyée, au pied de laquelle Taylor, à genoux, courbe la tête en une sorte de soumission définitive à la fatalité de la nature humaine et de sa condition.


Une triple boucle qui reproduit le mouvement même de la « réflexion » - mot qui, étymologiquement, signifie « mouvement de retour sur » - et donne au film de Franklin F. Schaffner une indéniable vertu pédagogique (faire prendre conscience que, si l’homme est bien l’artisan de son progrès, il peut se révéler le fossoyeur de son espèce), s’inscrivant ainsi dans la lignée des grands films du cinéma hollywoodien des années cinquante. On pense, comme exemple parmi bien autres, à la métaphore de la guerre froide qui traverse nombre de films américains de l’époque et la crainte du conflit nucléaire - Le Jour où la terre s’arrêta [2] (1951) de Robert Wise ou Ben Hur de William Wyler (1959) - et qui peut se lire aussi dans le film de Schaffner.

Plus généralement – par un nouvel effet de « boucle » - le film amorce un retour sur le passé de l’humanité à travers ce conflit entre les croyances simiennes (qui peu ou prou rappellent notre passé révolue) et les vérités de Taylor (qui sont celles de notre présent). C’est ainsi que sont abordés, notamment, la critique du dogmatisme et de la croyance en des vérités révélées par la religion. A ce propos, la comparution de Taylor devant le tribunal de l’Académie nationale remet en mémoire certains discours obscurantistes de l’histoire de l’humanité. D’emblée, le Président de séance présente le Dr. Zaius comme « le ministre des sciences et premier défenseur de la foi », faisant ainsi l’amalgame entre Science et Religion. Un Zaius qui affirme aussitôt vouloir juger « l’hérésie scientifique » commise, selon lui, par Zira et Cornelius, associant deux mots à connotation contradictoire. Son confrère Honorius ajoute même que « Le Tout-Puissant a créé le singe à son image, lui a donné une âme et un esprit, l’a séparé des bêtes de la jungle et l’a rendu seigneur de la planète. » avant de conclure que « ces vérités sacrées sont évidentes. » Puis il dénonce Zira et Cornelius qui « postulent une théorie traîtresse appelée l’évolution. » En reprenant la figure de la boucle, on remarque que Moyen âge, dix-neuvième et vingtième siècle se répondent, par l’évocation des croyances religieuses anciennes (l’homme a été créé à l’image de Dieu) toujours inculquées telles quelles aujourd’hui encore (le créationnisme, aux Etats-Unis, nie toujours la théorie de l’évolution des espèces de Darwin).

On ne manquera pas de noter, toutefois, que Zaius, ainsi qu’il le révèle à la fin du film, sait qui est Taylor - sans doute a-t-il appris, par les chroniques humaines, qu’un vol humain avait été envoyé dans l’espace et programmé pour revenir sur terre. Or, il invoque obstinément le respect du grand Législateur des Manuscrits sacrés écrits il y a douze cents ans et, notamment, peu avant la fin du film, le 29ème manuscrit (6ème verset) : « Méfiez-vous de l’homme, car il est l’instrument du diable. Seul parmi les primates de Dieu, il tue par plaisir, désir ou avarice. Oui, il tuera son frère pour s’approprier la terre de son frère. Empêchez-le de se reproduire en grand nombre, car il transformera en désert son foyer et le vôtre. Méprisez-le. Repoussez-le dans sa tanière dans la jungle. Car il est le hérault de la mort. » Zaius se sert donc de la religion simienne dans une double intention : protéger les singes des hommes et, sans doute, exercer un pouvoir indiscutable sur les singes puisqu’il est sacré.

Tout l’humour – noir - du scénariste est de mettre dans la bouche de Zaius, à la toute fin, le même discours critique, en forme de condamnation, que tenait Taylor sur l’être humain à l’entame du film et dont le Terrien ne sait pas encore qu’il va le répéter au pied de la Statue de la Liberté, foudroyée et déchue comme un symbole abattu…


2. Synopsis détaillé


A bord d’un engin spatial, pendant que ses trois compagnons sont déjà endormis, l’astronaute George Taylor s’apprête, après avoir lancé un dernier message, à entrer à son tour dans la phase de sommeil qui précède leur descente vers leur destination gérée par l’ordinateur de bord. Tous les quatre ont quitté cap Kennedy six mois auparavant pour un voyage dans l’espace à destination de planètes inconnues, ce qui correspond, selon les théories de la relativité, à un écoulement de près de sept cents années sur la Terre. Taylor se confie et souligne combien, vu de l’espace, il se sent seul et misérable, avant de se demander s’il va retrouver une humanité aussi belliqueuse et mauvaise que celle qu’il a quittée. Puis, il se fait une piqûre pour plonger dans le sommeil. Son écran lui précise qu’il est, en temps terrestre, le 27 mars 2673. [3mn20]

Le générique défile sur un fond d’images de galaxie ponctué d’une musique aux sons chaotiques. [5mn22] L’atterrissage rapide et violent du vaisseau montre des images d’une Terre nue et désolée, aux paysages rocheux arides entrecoupés de lacs d’un bleu intense dans l’un desquels s’abîme l’engin spatial. [6mn20] A bord, Taylor est le premier à s’éveiller. Avec ses deux coéquipiers, il découvre que leur collègue femme, Stewart, victime d’une fuite d’air, est morte momifiée depuis bien longtemps.

Au même moment, l’astronef s’enfonce dans le lac et une voie d’eau noie l’habitacle : les trois survivants ont tout juste le temps de s’en extraire. Taylor regarde l’écran qui indique qu’il s’est écoulé dix-huit mois depuis leur départ et que le temps terrestre donne, comme date, le 25 novembre 3978. Pendant qu’ils accostent dans un paysage aride et désolé, leur vaisseau coule à pic. Une fois sauvés, alors qu’ils se savent à 320 années-lumière de la terre, ils font le bilan de ce qu’ils ont pu récupérer comme matériel et estiment qu’ils ont quitté la terre depuis près de deux mille années selon le temps terrestre. Ils décident d’explorer leur nouvelle planète inconnue, cependant que Taylor éclate d’un rire moqueur en voyant Landon installer un drapeau américain sur le sol. [14mn43] Ils parcourent un pays désertique, fait de rochers stériles et parsemé de lacs et leur réserve d’eau se raréfie. Taylor, toujours très agressif, s’en prend à Landon, quand, soudain, Dodge les hèle : il vient de découvrir une plante. L’espoir revenu les pousse à repartir de plus belle vers l’avant. Puis les plantes se multiplient et les trois hommes découvrent bientôt une sorte de trophée barbare en forme d’épouvantails faits de peaux de bête. [24mn10]

Ils découvrent une oasis de verdure et, assoiffés, se ruent vers une cascade qui alimente une marre d’eau dans laquelle ils se jettent nus pour prendre un bain. Mais ils s’aperçoivent bientôt que leurs vêtements ont été subtilisés et leurs affaires pillées. Ils se lancent à la poursuite de leurs voleurs et découvrent une population végétarienne humaine, mais muette. Une population qui prend brusquement la fuite, pourchassée par des agresseurs invisibles armés de longs bâtons ou montés à cheval et tirant sur les fuyards : Taylor, stupéfait, découvre que ce sont des singes habillés et parlant comme les terriens. Tout le groupe des fuyards est soit abattu, comme Dodge, soit fait prisonnier au cours de ce qui s’apparente être une chasse au gibier humain. Taylor est blessé à la gorge. [34mn40]

A son réveil, il vit un cauchemar : tous les humains sont en cage et des singes les examinent. Taylor essaie de communiquer mais sa blessure l’en empêche. Paraît alors un singe de haut rang, nommé Zaius, qui refuse de considérer Taylor comme une exception malgré les remarques du Dr. Zira qui introduit dans cage une femme que Taylor avait remarquée auparavant et qui devient sa femelle. Taylor écrit sur le sable un message pour attirer l’attention de Zira et de son fiancé Cornélius, chercheur comme elle. Mais un humain l’efface et une bagarre s’ensuit. Taylor est puni. Zaius, qui a vu le message, l’efface discrètement et recommande à Cornélius de conformer ses recherches archéologiques à la vérité établie qui dénie aux humains intelligence et langage. Mais Taylor vole une feuille et un stylo et écrit son nom : c’est au tour de Zira d’être stupéfaite. Devant Cornélius et Zira, Taylor écrit l’histoire de son voyage et confirme les travaux de Cornélius : une civilisation plus ancienne a précédé celle des singes. Un Zaius toujours aussi méfiant et sceptique apparaît de nouveau et fait renfermer Taylor en cage. [51mn30]

Au cours d’un transfert de cage, Taylor parvient à s’échapper et est poursuivi à travers la cité simienne, trouve refuge dans une sorte de musée Grévin où il découvre un Dodge exposé avant d’être l’objet de sévices de la part de la population et d’être repris : il exprime alors sa colère – il peut enfin parler - devant des singes médusés d’entendre un humain parler. [57mn47] Taylor est séparée de Nova qui se retrouve dans une cage en face de la sienne : il se confie sans la moindre illusion d’obtenir une réponse de sa compagne à qui il a appris, au moins, à sourire.

Puis Taylor est conduit devant un tribunal scientifique présidé par Zaius et ne peut intervenir pour donner son point de vue. Mais il écrit une déclaration que lit Zira et qui rapporte son voyage dans l’espace. Zaius lui demande alors de lui montrer, parmi les captifs de la chasse, ses compagnons de voyage. Ce qu’accepte Taylor avant de s’apercevoir que Landon a été lobotomisé par les singes. Taylor est reconduit devant les membres du tribunal. Cornélius intervient pour expliquer que rien n’empêche les humains de parler et que Taylor représente peut-être le chaînon manquant entre les hommes et les singes, comme le prouvent ses découvertes archéologiques réalisées dans la zone interdite. Ebranlés, les membres du tribunal se réunissent à part pour statuer. Mais Zaius menace Taylor, qu’il tient pour un simple mutant, de le faire décérébrer s’il ne renonce pas à ses affirmations. C’est pourquoi Zira et Cornélius font échapper Taylor et Nova. [1h20mn]

Accompagné du jeune chimpanzé Lucius, ils décident de se rendre dans la zone interdite où Cornélius mène ses recherches archéologiques, non loin de l’endroit où le vaisseau de Taylor a atterri. Taylor entend montrer les preuves de sa venue sur la planète depuis l’espace et dissuade Nova de retourner dans son territoire. Ils s’en vont tous les quatre, à cheval vers le désert et suivent un fleuve qui conduit vers la mer. Ils atteignent enfin le lieu des fouilles archéologiques de Cornelius, une caverne qui s’ouvre dans une falaise qui borde la mer. Au moment où ils vont y pénétrer Zaius, accompagné de gorilles armés, survient et entend les arrêter. Mais Taylor le menace de le tuer. Une discussion s’ensuit au cours de laquelle Taylor propose à Zaius d’examiner le résultat des fouilles de Cornélius avant de décider quoi que ce soit. Les thèses s’affrontent à propos d’objets trouvés antérieurs à la civilisation simienne jusqu’à ce que Nova manipule une poupée humaine découverte sur le site qui se met à dire « Maman ! ». Dès lors, la preuve est faite : l’homme a su parler un jour et a bien précédé le singe. A l’extérieur, les gorilles sont passés à l’attaque. Taylor s’empare de Zaius et menace de l’exécuter. Les gorilles acceptent alors de laisser des armes et des chevaux à Taylor et à Nova. Mais Zaius explique à Taylor qu’il sait tout de l’histoire et que leur grand législateur a dénoncé l’homme comme l’instrument du chaos. Taylor et Nova quittent le groupe. Une fois Taylor parti, Zaius ordonne de sceller la grotte afin d’enfouir la vérité. Puis il se tourne vers Taylor et Nova en assurant qu’ils vont à la rencontre de leur destinée : en effet, au détour d’une falaise, Taylor découvre la carcasse rouillée et à demi enfouie dans le sable de… la Statue de la Liberté : la planète des singes n’est autre que la Terre en l’an 2673 ! [1h47mn]


3. Fiche technique


  • Réalisation : Franklin J. SCHAFFNER.
  • Titre original : Planet of the Apes.
  • Durée : 112 minutes.
  • Année : 1968.
  • Scénario : Michael WILSON et R. SERLING, d’après le roman de Pierre BOULLE (1961).
  • Directeur de la photographie : Leon SHAMROY.
  • Costumes : Morton HAACK.
  • Créateur des maquillages : John CHAMBERS.
  • Musique : Jerry GOLDSMITH.
  • Producteur : Arthur P JACOBS.
  • Production : 20th Century-Fox.
  • Distribution : Fox-Lira.

Distribution :

  • George Taylor : Charlton HESTON.
  • Cornelius Roddy : MAC DOWALL.
  • Zira : Kim HUNTER.
  • Le docteur Zaius : Maurice EVANS.
  • Honorius : James DALY.
  • Nova : Linda HARRISON.
  • Landon : Robert GUNNER.
  • Lucius : Lou WAGNER.
  • Maximus : Woodrow PARFREY.
  • Dodge : Jeff BURTON.
  • Julius : Buck KARTALIAN.
  • Le chef des chasseurs : Norman BURTON.
  • Le docteur Galen : Wright KING.
  • La femme astronaute : Dianne STANLEY.




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Droits d'auteur © Henri Philibert-Caillat


4. Bande annonce




 
Mots-clef anticipation  1968 
Évaluation 92.31 %
Contenu sous droits d'auteur — Dernière mise-à-jour : 2017-07-31 09:25:32

Recommandations

Ce roman de Pierre Boulle publié en 1961 a connu une renommée inattendue grâce au film éponyme de Franklin J. Schaffner (1968) [1]. Pourtant, le roman, authentique conte voltairien, propose une réflexion ironique, tour à tour mordante et subtile, sur la prétention de l’être humain, tout en offrant au lecteur un récit d’anticipation original.




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