1. Le style be-Bop
A partir de 1945, quelques jeunes musiciens noirs : le trompettiste Dizzie Gillepsie, le saxo-alto Charlie Parker, le pianiste Thelonius Monk et le batteur Kenny Clark vont révolutionner le jazz traditionnel.
Toutes les nuits, dans l’arrière salle d’un cabaret de New York, le « Winton’s Playhouse, ils cherchent des rythmes neufs et d’audacieuses harmonies.
Faire éclater le rythme !
Piano, contrebasse et batterie, les trois piliers de l’édifice rythmique jazzie ne marquent plus ensemble la même pulsation : chacun vit désormais son rythme. Le piano ne suit plus docilement l’interprète qui improvise ; il plaque çà et là des accors discordants en guise d’accompagnement.
Quant à la batterie, elle se montre encore plus indépendante : elle multiplie les accentuations, fractionne les temps de la mesure et développe de nouvelles figures rythmiques très compliquées. L’une d’elles, appelée BE-BOP, fera connaître le style nouveau. Seule la contrebasse, moins intrépide, ponctue encore les quatre temps de la mesure.
Bouleverser la mélodie !
Pas plus que le rythme, la mélodie ne trouve grâce sous les doigts de ces révoltés du jazz et les romances à la mode (les songs) deviennent alors des mélodies déchirantes, aux contours anguleux et aux imprévisibles déroulements.
Une harmonisation dissonante, des cascades de notes exécutées avec virtuosité, le refus de toute sensiblerie, tout concourt à rendre ce style baroque et déroutant. Personne ne mesure alors l’importance de cette révolte qui va donner au jazz une grande liberté d’expression et une impulsion nouvelle.
2. Le style cool
Les folles extravagances du style be-bop ne plaisent pas à tout le monde. Certains jeunes saxophonistes blancs – parmi lesquels Stan Getz et Lee Konitz – décident d’orienter le jazz vers des voies plus calmes.
Servez frais !
« Modifions la sonorité ! », proclament-ils. Et ils précisent leur intention : « Adieu les sons grinçants et barbares ! Place aux sonorités douces et feutrées. Et que le rythme s’apaise ! » Dès lors, le jazz cesse d’être une musique rude au rythme agressif ; elle devient une musique timide, raffinée, qui rafraîchit – d’où l’utilisation du mot cool pour la désigner et la distinguer de la musique Hot. Mais ce n’est pas tout et ils ajoutent : « Sur scène, soyons sérieux, nous ne sommes pas là pour nous amuser ! Sachons parler à voix basse et sourire avec dignité. »
Lester Young, le précurseur du jazz de chambre
Lester Young – le plus grand saxo-ténor de l’histoire du jazz – avait déjà donné l’exemple quelques années auparavant. Grâce à un instrument qu’il manipulait avec une souveraine nonchalance, il évoluait sur un tempo lent, dans un climat de rêve intime et dépouillé : le » jazz de chambre » était né. Sage et bien élevé, le jazz perdait beaucoup de son ardeur originelle. Sa beauté sauvage semblait être domestiquée
John Lewis et Modern Jazz quartet ou le jazz sans bruit
Le pianiste John Lewis fonde un quartet avec vibraphone, contrebasse et batterie pour donner naissance, en 1952, au célèbre Modern Jazz quartet. Il désarme les ennemis de la musique noire En effet, leurs délicates oreilles ne peuvent reprocher au Modern Jazz Quarter de faire trop de bruit : tout y est nuances, demi-teintes et gracieuses arabesques. Chaque morceau est mis au point avec rigueur et calculé avec minutie. Si l’improvisation subsiste, elle n’est plus dominante.
L’originalité et l’intérêt de ce groupement réside pour l’essentiel dans sa « sonorité collective », c’est-à-dire que les quatre exécutants jouent ensemble. Leur musique aux harmonies subtiles dégage un charme fragile et grave à la fois, parfaitement reconnaissable. John Lewis appréciant la « Grande Musique », il ne faut pas s’étonner si, au cours de ses compositions, l’on découvre certaines phrases qu’aurait pu signer un Jean-Sébastien Bach. Certains détracteurs du groupe lui reprochaient de ne pas faire du jazz. Il s’agissait, en effet, d’un jazz différent, élégant, loin des déchaînements bruyants du jazz traditionnel.
Miles Davis : le poète maudit de la trompette
Après avoir été un adepte du style be-bop qui lui a inspiré une série de disques immortels en compagnie du regretté Charlie Parker, le maître incontesté du jazz moderne, Miles Davis a intégré la nouvelle école. Lorsqu’il jouait, tête baissée, sa trompette inclinée vers le sol, on dirait qu’il prie…
Lui seul sait interpréter avec un grand recueillement des mélodies tristes d’une beauté un peu froide (on pouvait lui préférer, comme André Sève, une trompette plus brillante). Sur scène, il semblait ignorer le public - qu’il ne saluait pas. Dès qu’il avait fini de jouer, il rejoignait timidement les coulisses de peur de gêner ses camarades. Miles Davis, cet étrange soliste et créateur solitaire, proposait une musique - à l’image de son visage – fine, pleine de mystère et pure. Il fut connu du grand public pour avoir composé la célèbre et inoubliable bande originale du film de Louis Malle en 1957, Ascenseur pour l’échafaud.
3. Bilan dans les années soixante
Les expériences se sont poursuivies : du folklore le plus rudimentaire à l’art le plus savant, l’histoire du jazz continuait. Si le « Jazz classique » s’est épanoui entre les années 1935 et 1945, il s’est renouvelé dans les années cinquante et soixante. Un Buck Clayton à la trompette, un Coleman Hawkins au saxo-ténor, un Lionel Hampton au vibraphone et un Joe Jones à la batterie, tous étincelantes figures des années 1935 et 1945, suscitaient toujours l’enthousiasme des fans de jazz dans les années Soixante, qui faisaient la queue pour écouter leurs concerts. Simultanément, les vétérans et fils du jazz classique Nouvelle Orléans qu’étaient Kid Ory ou Sydney Béchet vivaient leur musique comme s’ils avaient toujours vingt ans. Il en était de même pour Count Basie et, surtout, Louis Armstrong joussant d’une incroyable popularité.
Ainsi les deux styles de jazz cohabitaient avec leurs caractères et leurs mérites respectifs. De nouveaux musiciens – le batteur Chco Hamilton, le bassiste Charlie Wingers ou le saxo-ténor Ornette Coleman – travaillaient à l’enrichissement du jazz en développant ses moyens d’expression, en découvrant de nouvelles combinaisons sonores, en élargissant sa technique et en introduisant des instruments jusque-là inemployés. C’est ainsi que Art Blakey et ses Jazz Messengers surent retrouver/allier en 1955 la puissance rythmique et envoutantes des tams-tams africains.
L’âme du jazz a toujours inspiré de nouvelles techniques qui se sont inscrites, à leur tour, dans la grande tradition du jazz.
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